L’embryon, être en devenir?
Saint-Pierre-de-Colombier, 15 février 2010 Notre Forum de Sens « liberté-loi » approche. Nous voudrions – pour vous aider à mieux en comprendre l’enjeu – vous citer aujourd’hui ce que vient de dire Benoît XVI, ce samedi 13 février 2010, aux membres de l’Académie Pontificale pour la vie et vous donner des pistes de réflexion sur un sujet d’actualité : l’embryon, être en devenir. Extraits du discours de Benoît XVI :
« Il est nécessaire de répéter fermement qu'il n'existe pas de compréhension de la dignité humaine qui soit liée uniquement à des éléments extérieurs tels que les progrès de la science, la formation progressive de la vie humaine ou la pitié facile face à des situations extrêmes. Quand on invoque le respect de la dignité de la personne, il est fondamental qu'il soit plein, total et sans contrainte, sauf celle de reconnaître qu'on est toujours confronté à une vie humaine. ... En effet, dès le premier moment, la vie de l'homme est caractérisée par le fait d'être Vie et pour cette raison, en tout temps, n'importe où, et malgré tout, d'une dignité propre ... L'histoire a montré combien peut être dangereux et nuisible un État qui commence à légiférer sur des questions touchant la personne et la société, prétend être lui-même source et principe de l'éthique. Sans principes universels qui acceptent de servir de dénominateur commun pour l'humanité tout entière, le risque d'une dérive relativiste sur le plan législatif ne doit pas être sous-estimé. La loi morale naturelle, forte de son caractère universel, permet de conjurer ce danger, et surtout offre au législateur, la garantie d'un respect authentique tant de la personne que de l'ordre de la création. Elle s'impose comme source et catalyseur de consensus entre personnes de cultures et de religions différentes et permet d'aller au-delà des différences, parce qu'elle affirme l'existence d'un ordre imprimé par le Créateur dans la nature et reconnu comme exigence d'un jugement vraiment rationnel pour poursuivre le bien et éviter le mal. » (Texte intégral ici)
L’embryon est-il un être en devenir ?
L’un des plus urgents défis, comme nous l’avons rappelé au début de la Marche pour la vie à Paris, le 17 janvier 2010, est la reconnaissance par tous les hommes de cette évidence : la dignité de l’embryon humain parce qu’il est un être humain dès le premier moment de sa conception.
La recherche sur les embryons est sur le point d’être légalisée en France. On veut justifier cette recherche en disant que l’embryon est un « être en devenir ». Mais que signifie cette expression ? Le blog « bioéthique » ouvert par la Conférence des évêques de France nous donne les éléments de réponse. Nous vous invitons à lire la contribution d’Henri Bléhaut, directeur de la recherche de la Fondation Jérôme Lejeune : « Embryon, que nous dis-tu de toi ? »
Nous voudrions ouvrir douze pistes de réflexion. Merci de les enrichir en nous faisant part de votre pensée. Avant la Marche pour la Vie, nous avions dit : se taire c’est se compromettre. Nous voudrions répéter cette conviction parce que nous n’avons pas le droit de garder le silence alors que la France est sur le point de déclarer « légale » la recherche sur l’embryon humain. Les générations futures nous demanderont des comptes !
1) L’embryon pour la génétique moderne
Le Professeur Jérôme Lejeune, appelé « père de la génétique moderne » disait :
« On peut résumer toute la biologie d’une façon fort simple : au commencement, il y a un message, ce message est dans la vie, ce message est la vie, et si ce message est un message humain, cette vie est une vie humaine. Lorsque vous saurez cela, vous connaîtrez toute la biologie moléculaire moderne ; bien sûr, il y a des petits détails qu’il faut connaître pour passer les examens, mais c’est seulement pour les spécialistes. Vous aurez compris pourquoi nous savons au-delà de tout doute possible que l’être humain, au début de sa carrière, est exactement notre semblable, notre frère, dans le cas particulier notre enfant, et qu’il a droit au respect non pas en fonction de sa puissance, de sa taille ou des performances au moment où on lui porte respect, mais pour une raison simple et unique : c’est qu’il est membre de notre espèce » (Texte intégral ici).
Dans l’Instruction Donum Vitae, il est affirmé :
« Dès que l’ovule est fécondé, se trouve inaugurée une vie qui n’est ni celle du père ni celle de la mère, mais d’un nouvel être humain qui se développe par lui-même. Il ne sera jamais rendu humain s’il ne l’est pas dès lors. A cette évidence de toujours la science génétique moderne apporte de précieuses confirmations. Elle a montré que, dès le premier instant, se trouve fixé le programme de ce que sera ce vivant: un homme, cet homme individuel avec ses notes caractéristiques déjà bien déterminées » (DV I, 1).
2) Quelle est la signification de l’être en devenir pour ceux qui veulent légaliser la recherche ?
On peut présumer que l’expression « l’être en devenir » – étant donné qu’elle justifie la légalisation de la recherche sur les embryons – pourrait signifier que l’embryon ne serait pas encore un être humain mais qu’il serait un être évoluant en vue de son humanisation. Il semble que l’expression « être en devenir » pourrait se rapprocher de celle utilisée par Benoît XVI, ce samedi : « la formation progressive de la vie humaine ». La recherche sur l’embryon pourrait ainsi être légalisée, puisque l’être en devenir qu’est l’embryon ne serait que l’être d’une étape de la formation progressive de la vie humaine. On ne manipulerait pas un être humain mais un « matériau biologique » qui n’est pas encore un être humain. Si telle est la conception de « l’être en devenir » dans la pensée de ceux qui veulent légaliser la recherche sur les embryons, cette conception serait incompatible avec l’évidence de toujours, évidence rappelée avec conviction par Benoît XVI, en ce dernier samedi. Cette conception serait aussi en contradiction avec les confirmations de la science génétique.
3) Premiers co-principes de l’être : puissance et acte
Les premiers philosophes grecs se sont interrogés sur l’être et le devenir. Leurs recherches ont permis à Aristote de développer une métaphysique réaliste qui vaut encore pour tous les hommes. Ce philosophe a bien vu que les êtres de notre expérience sont soumis au changement : ils « deviennent ». Comment expliquer ce devenir, ce changement ? Aristote l’expliquait par ces co-principes de l’être : puissance-acte, co-principes qui ne sont pas « séparables » dans l’être mais seulement distingués par notre raison. Tout être de notre expérience est puissance et, en même temps, acte. La puissance est de l’être, l’acte est de l’être. Mais tout être n’est pas puissance et acte en même temps et sous le même rapport. L’embryon est bien un être humain réel, mais cet être humain réel n’est pas un adulte. Il est en puissance de le devenir. Cet être humain en puissance de devenir adulte est en même temps - c’est une évidence scientifique aujourd’hui - en acte d’être embryon du fait de son code ou patrimoine génétique, fixé dès le premier instant de sa conception. L’être en puissance qu’est l’embryon aujourd’hui sera demain le même être humain que l’enfant et l’adulte qu’il deviendra. Il ne sera pas un autre être humain.
4) Deuxièmes co-principes de l’être : matière et forme
Aristote, dans ses analyses à partir de l’expérience, a bien remarqué que les êtres de ce monde – qui changeaient – étaient aussi des êtres différents. Comment expliquer cette diversité ? Tous les êtres sont composés des mêmes éléments physico-chimiques. Ces éléments sont « organisés » par un principe de vie qu’Aristote appelait : âme. Il distinguait l’âme végétative, l’âme sensitive et l’âme spirituelle. L’âme était, pour Aristote, « la forme » qui organisait « la matière » du vivant. Benoît XVI appelle aujourd’hui les philosophes à intégrer dans la philosophie les données de la science génétique moderne afin de mieux distinguer la matière et la forme de l’embryon et de montrer qu’il est essentiellement différent du végétal ou de l’animal. L’embryon humain, du fait de sa matière et de sa forme, ne peut devenir ni un animal, ni un ange.
5) Troisièmes co-principe de l’être : essence-existence
La distinction essence-existence ne vient pas d’Aristote mais d’Avicenne puis de saint Thomas d’Aquin. Qu’est l’essence ? L’idée de la chose : « ce qu’elle est ». L’essence d’un être concret est appelée « la nature » de cet être. Saint Thomas a bien compris la primauté de l’existence, « l’esse », sur l’essence. Cette conviction du docteur angélique est de la plus haute importance : l’être humain qu’est l’embryon est « un existant ». Il n’est pas seulement une essence mais une nature humaine concrète existante dont le patrimoine génétique est complet dès sa conception.
6) Autre distinction importante : personne-nature
La riche et pénétrante pensée philosophique et théologique de Jean-Paul II devrait permettre une nouvelle réflexion sur le mystère de l’être humain qui intègre en une unité incommunicable l’ordre de la nature humaine et l’ordre des personnes. L’être humain qu’est l’embryon est très différent de l’animal. Chaque animal de la même espèce se distingue par le fait qu’il est un « suppôt ». Mais l’animal n’est pas un « sujet » comme l’être humain. Seule la personne humaine – dans les êtres de notre expérience – est sujet et jouit de la liberté. L’être humain, certes, au premier moment de son existence, n’est pas encore conscient, il n’a pas encore atteint l’âge de raison, il n’est pas encore responsable de ses actes. Il n’en demeure pas moins un être humain personnel. Chacun de nous peut dire : je ne serais pas devenu ce que je suis aujourd’hui si, dès le premier moment de ma conception, je n’avais pas été cet être humain personnel, unique, que je suis.
7) J’ai été un embryon, un enfant, un adolescent, un jeune, un adulte
Chacun de nous peut encore dire : « j’ai été un embryon, un enfant, un adolescent, un jeune et un adulte ». Chacun, en regardant les photographies des divers âges de sa vie, constate de grands changements entre l’enfant, l’adolescent, le jeune et l’adulte qu’il a été. Mais chacun, par son expérience vécue, sait que le sujet qu’est sa personne n’a pas changé. Lorsque je me vois enfant, adolescent, jeune sur une photographie, je ne dis pas : « c’est toi, c’est lui, c’est elle », mais : « c’est moi ! ». Des jeunes ont dit avec justesse, lors de la dernière Marche pour la Vie : j’ai été un embryon ! Oui, nous avons, tous, été des embryons. Dire : « j’ai été un embryon » signifie que cet embryon n’était pas un autre être que moi-même. L’étape embryonnaire de mon existence a bien été la première étape de mon existence personnelle qui trouvera son accomplissement dans la participation à l’éternité de Dieu.
8) L’Eglise fête solennellement le premier moment de l’existence de Jésus et de Marie
Il est important de souligner que, le 8 décembre, l’Eglise fête solennellement l’Immaculée Conception. Que signifie cette Fête ? Tout simplement l’anniversaire du premier moment de l’existence humaine de la Vierge Marie dont la fête liturgique de la naissance est célébrée le 8 septembre. A Lourdes, en 1958, la Sainte Vierge s’est identifiée à son immaculée conception : « je suis l’Immaculée Conception ». Le « je » de la Vierge Marie existe donc bien au moment de sa conception !
Le 25 mars, l’Eglise fête solennellement le mystère de l’Incarnation, le premier moment de l’existence humaine de Jésus dont la naissance est célébrée liturgiquement, 9 mois plus tard, le 25 décembre. Jean-Paul II a décidé, en promulguant l’Encyclique Evangelium Vitae, que la journée pour la vie pourrait être célébrée le 25 mars, le jour où l’Eglise célèbre le premier moment de l’existence humaine de Jésus.
9) Les quatre causes : matérielle, formelle, finale, efficiente
Pour mieux comprendre encore l’expression « l’être en devenir », il nous semble important de rappeler – avec les philosophes réalistes – les quatre causes de l’être qui peuvent expliquer le devenir de chaque existant. La cause matérielle de l’embryon pourrait être facilement identifiée : l’ovule et le spermatozoïde. La cause formelle est toujours objet de recherche pour les scientifiques, mais pour un nombre important de philosophes et de croyants, la cause formelle est l’âme spirituelle. La cause efficiente devrait être évidente pour tous : les époux. La cause finale devrait aussi être évidente : l’amour conjugal responsable.
10) Les parents procréateurs, causes du devenir de l’être. Dieu, cause première de l’être
Face au mystère de l’être humain et à son respect inconditionnel, il est important de rappeler que les parents, dans l’enseignement de l’Eglise qui se fonde sur la Loi naturelle, ne sont pas « la seule cause efficiente » de la conception de leur enfant. Ils ne sont pas les créateurs de sa vie, mais les procréateurs. Jean-Paul II a développé une réflexion très intéressante sur la généalogie de la personne (cf. Actes de notre Session Donum Vitae ici). Les époux sont les collaborateurs de Dieu dans le don de la vie humaine. Par leur union conjugale, ils posent les conditions nécessaires du devenir d’un nouvel être humain. L’Eglise invite les hommes de bonne volonté à continuer leur recherche qui leur permettra de découvrir la différence entre l’acte créateur de Dieu, l’Etre qui ne change pas et qui est la cause première de tous les êtres de la création, et l’acte procréateur des époux, qui collaborent à la venue au monde d’un nouvel être humain. On ne peut pas ignorer cette importante réflexion dans les débats actuels en bioéthique, sinon on ne pourrait plus comprendre le caractère sacré de la vie et les raisons pour laquelle le 5e commandement de Dieu nous interdit de tuer un être humain.
11) La famille, seul sanctuaire de la vie
Jean-Paul II, le Pape de la famille et de la vie, a utilisé cette très belle expression : la famille est le seul sanctuaire de la vie humaine. Si nous prolongeons sa pensée, nous pouvons dire : le laboratoire et l’éprouvette ne pourront jamais prendre la place du sanctuaire qu’est la famille ! Les dérives actuelles révèlent l’urgence de revenir au respect absolu de la Loi naturelle par tous les hommes. 12) La vie humaine est un don de Dieu et non une production humaine
Nous voudrions conclure ces éléments de réflexion sur l’être en devenir qu’est l’embryon par cette constatation dont nous avons parlé au cours de la Session « Donum Vitae » de Sens : il existe une grande différence entre l’enseignement prophétique de Donum Vitae – dont le fondement est la Loi naturelle – : la vie humaine est un don de Dieu et l’enseignement opposé sur lequel s’appuient ceux qui ont légalisé l’avortement et qui sont sur le point de légaliser les recherches sur l’embryon : la vie humaine est une production humaine. Le don de la vie, dans la Loi naturelle, est le fruit du don d’amour des époux unis dans le mariage. La production de la vie humaine, pour ceux qui veulent légaliser la recherche sur les embryons, est le résultat de la science et de la technique. Le lieu du don de la vie voulu par Dieu est la famille, le sanctuaire de la vie. Le lieu de la production de la vie est le laboratoire du biologiste.
Si la vie humaine est considérée comme un don de Dieu, elle sera protégée et aimée de sa conception à son terme naturel. Si la vie humaine est considérée comme une production humaine, elle ne jouira plus de la même protection, mais on risquera de l’évaluer par rapport à des critères arbitraires pour ne « produire » que des vies humaines de qualité supérieure.
Conclusion :
Puissent ces 12 points permettre un riche échange afin de ne pas laisser de place à l’ambiguïté sur l’expression « être en devenir ». Tout embryon humain est un être humain qui doit être protégé, dès le premier moment de son existence. Jean-Paul II disait, en 1997, en citant Donum Vitae, qu’il devait être « respecté comme une personne dès sa conception ; c'est pourquoi, à partir de ce moment, on doit lui reconnaître les droits de la personne humaine, parmi lesquels figure avant tout le droit inviolable de chaque être humain innocent à la vie » (DV 79).