Les dangers de l'humanisme athée

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WE Jeunes à Saint Pierre de Colombier : "Dieu n'est pas mort !"

1e enseignement (Fr. Jean)

Les dangers de l’humanisme athée… 

Soljenitsyne, témoin pour notre temps

[NB : Le 2e enseignement (nos raisons de croire) est disponible ici !

Le 3e enseignement (Les raisons de croire et le témoignage de la vie personnelle) est disponible ici !]

Introduction

« Dieu n’est pas mort ». Vous avez certainement tous vu le film qui porte ce nom. Il est intéressant sur plusieurs points. Ce soir, portons davantage notre attention sur l’ambiance qui se manifeste dans le film. Il y a plusieurs circonstances. D’abord celle de l’amphithéâtre. Là, le professeur impose la négation de Dieu, et celui qui la refuse est méprisé. On voit combien il est facile de se laisser entraîner : tous les étudiants suivent le professeur comme des moutons de panurge. Même le héros hésite, puis fait le bon choix. Ensuite nous avons le milieu affectif qui entraîne bien souvent la foi et la raison à la dérive. Le film met encore en scène les questions professionnelles, familiales. Partout le choix de Dieu peut être gênant. Partout le choix de Dieu demande de s’engager totalement. Et enfin, partout on voit combien l’esprit athée est omniprésent et étouffant ! 

On entend parfois : « c’est bien rendu dans le film ». Mais si en effet c’est bien rendu, c’est précisément que c’est vrai. Et si c’est vrai, il faut donc en être conscient pour ne pas se laisser entraîner dans les mêmes erreurs. Même sans s’en rendre compte, on se laisse plus ou moins contaminer. Saint Augustin voyait juste en disant : « A force de tout voir on finit par tout supporter... A force de tout supporter on finit par tout tolérer... A force de tout tolérer on finit par tout accepter... A force de tout accepter on finit par tout approuver... » Pour être vigilant il faut d’abord connaître l’ennemi. Ainsi nous commencerons par voir les fondements de l’athéisme qui nous entoure : l’humanisme athée.

Ensuite il faudra en déduire l’attitude que nous devons prendre. Il faut résister ; c’est urgent, et ne pas attendre d’être les derniers à le faire. Le pasteur allemand Martin Niemoller faisait cette réflexion « Quand les nazis arrêtaient les communistes, je me suis tu, car, je n'étais pas communiste. Quand ils enfermaient les socialistes, je n'ai rien dit, car, je n'étais pas socialiste. Quand ils sont venus chercher les catholiques, je n'ai pas protesté, car, je n'étais pas catholique. Quand ils sont venus me prendre, il n'y avait plus personne qui pouvait protester. » La figure d’Alexandre Soljenitsyne nous aidera à voir les vrais problèmes et l’attitude à adopter. Il a l’avantage d’avoir dénoncé à la fois l’athéisme communiste et l’athéisme occidental. Nous verrons que cela demande du courage, mais Jésus nous donne sa grâce pour vaincre la peur. Le Cardinal Wyszynski  constatait : « La plus grande faiblesse de l’apôtre est la peur... Les disciples qui abandonnèrent le Maître, augmentèrent le courage des bourreaux. Celui qui se tait face aux ennemis d’une cause enhardit ces derniers. La peur de l’apôtre est le premier allié des ennemis de la cause. ‘Par la peur contraindre à se taire’, telle est la première stratégie des impies. La terreur utilisée  par toute dictature est calculée sur la peur des apôtres. »[1] Alors comme dans le film relisons les paroles de Jésus : « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux. Mais celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est aux cieux. » Mt X, 32-33. Josh avait peur, mais il n’a pas renié. « Dieu n’est pas mort », c’est un film ; nous nous devons le vivre dans la réalité.

1 - Le drame de l’humanisme athée

Pour cette partie nous nous référons essentiellement au livre du Cardinal de Lubac, Le drame de l’humanisme athée. Nous allons procéder en 4 étapes : une vision historique ; la pensée de Feuerbach puis celle de Nietzsche ; le résultat : dissolution de l’homme.

1.a) Une vision historique

Premièrement de Lubac procède à une analyse large de la vision de l’homme dans la foi chrétienne et la répercussion de cette vision dans la pensée des hommes. Il part de la Genèse. Ce livre de la Bible nous révèle que Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance. L’homme est ainsi placé par Dieu au-dessus du reste de la création visible. Nous connaissons le choix qui a été celui d’Adam et d’Eve, le péché originel, nous connaissons également ses conséquences dramatiques. L’Église annonce donc que l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, tout en ayant maintenant une nature blessée. Mais cette chute originelle n’enlève rien à la vocation de l’homme d’aller vers Dieu. Et pour cela Dieu s’est s’incarné pour nous sauver. Il nous a aimés jusque là !

            Cette vision de Dieu qui est amour et Rédempteur nous est familière. Mais ce n’était pas la vision que les païens avaient de Dieu aux débuts du christianisme, notamment dans l’empire romain. Pour eux ce fut un véritable bouleversement. Ce Dieu était combien différent de leur dieux, ces dieux qu’il fallait continuellement satisfaire et qui faisaient peser un joug quotidien et pénible. L’annonce du christianisme se manifestait alors comme une libération, la découverte d’un Dieu avec qui on pouvait entrer en relation d’amour.

            Puis le christianisme s’implante de façon quasi générale dans notre Europe avec une ère de chrétienté. Vinrent les temps modernes où la foi était sûrement plus observée par obligation que par amour. La mentalité de certains esprits devint alors aux antipodes de la mentalité des païens convertis des premiers siècles. Dieu ne se manifesta plus comme celui qui libère, mais comme celui qui opprime. Il devient alors l’adversaire de la dignité de l’homme. Celui-ci n’est « plus touché » d’être créé à l’image de Dieu. L’athéisme naissait. Il naissait donc dans une perspective précise : il faut se débarrasser de Dieu. Se débarrasser de Dieu car tout ce que les hommes ont attribué à Dieu est en fait la propriété de l’homme. De Lubac résume ainsi : « L’homme élimine Dieu pour entrer lui-même en possession de la grandeur humaine qui lui semble détenue par un autre. En Dieu, il renverse un obstacle pour conquérir sa liberté. »[2] C’est un point capital pour comprendre notre situation actuelle.

            Ce tout petit tour d’horizon nous montre que l’athéisme est en fait un antithéisme. Nous allons voir aussi que cet antithéisme va créer une tragédie humaine. L’athéisme est une grande crise des temps modernes « qui engendre les tyrannies et les crimes collectifs qui se traduisent par le feu et la sang. »[3]

            On ne peut pas donner une définition de l’humanisme athée. Certains disent qu’il y a autant de formes d’humanisme athée que d’humanistes. Mais de Lubac fait remarquer que même si ces différentes formes sont capables de se dévorer entre elles, elles sont aussi capables de s’unir pour détruire la foi avant de se dévorer. Pour ce soir, nous n’allons pas visiter toutes ces théories, mais sûr deux philosophes qui ont eu une importance significative sur la mentalité qui nous entoure maintenant : Feuerbach et Nietzsche.

 

1. b) Feuerbach (1804-1872)

            Feuerbach s’inscrit exactement dans cette optique de vouloir rendre à l’homme ce qui lui appartiendrait : « Qui n’a pas de désir n’a pas non plus de Dieu. Les dieux sont les vœux de l’homme réalisé. »[4] Autrement dit, en regardant les dieux façonnés par les hommes, nous voyons ce que l’homme doit être pour être en plénitude. Pour ce faire, il faut donc sortir de l’aliénation, car l’homme, dit Feuerbach, a été « dépossédé de quelque chose qui lui appartient par essence au profit d’une réalité illusoire. » Il est dépossédé de la Sagesse, du vouloir, de la justice et de l’amour. En effet pour la religion, l’homme doit se tourner vers Dieu pour bénéficier de ces dons. Ainsi, pour Feuerbach « la religion se change en vampire de l’humanité. » Parmi les religions, la religion chrétienne est la plus terrible car la plus parfaite.

            Cependant Feuerbach ne veut pas se considérer véritablement comme « athée », car il reconnaît des valeurs, valeurs qui sont généralement rejetées par les athées. Mais il précise en affirmant que ce n’est pas Dieu qui est vrai mais ses attributs. Nous n’avons plus besoin d’aller les chercher dans « l’au-delà ». Finalement, comme le dit Bakounine (révolutionnaire anarchiste 1814-1876) : « [Feuerbach] a rendu à la terre ce que le ciel lui avait dérobé » Bakounine synthétise bien : « Le ciel religieux n’est autre chose qu’un mirage où l’homme exalté par l’ignorance et la foi retrouve sa propre image, mais agrandie et renversée, c'est-à-dire divinisée… Le christianisme est la religion par excellence, parce qu’il expose et manifeste, dans sa plénitude, la nature, la propre essence de tout système religieux, qui est l’appauvrissement, l’asservissement de l’anéantissement de l’humanité au profit de la divinité… Dieu apparaît, l’homme s’anéantit, et plus la divinité devient grande, plus l’humanité devient misérable. Voilà l’histoire de toute religion ; voilà l’effet de toutes les inspirations et de toutes les législations divines. En histoire, le nom de Dieu est la terrible massue avec laquelle les hommes diversement inspirés, les grands génies ont abattu la liberté, la dignité, la raison et la prospérité des hommes… »[5]

            C’est dans cette perspective que va s’engouffrer un certain Karl Marx. Marx va critiquer Feuerbach en lui reprochant de ne pas être allé assez loin. C’est pourquoi Marx veut remplacer « le culte de l’homme abstrait qui constitue le centre de la nouvelle religion feuerbachienne… par la science des hommes réels et leur développement historique. »[6] Marx ne voit pas d’autre solution d’appliquer sa théorie qu’en renversant la société car, dit-il : « c’est la mauvaise organisation sociale qui est la véritable cause de la croyance et par conséquent de l’aliénation humaine. »[7] On voit ici le lien entre les deux personnes. L’idée de fond est la même : la croyance en Dieu aliène l’homme car il se dépouille de ce qu’il est pour l’attribuer à Dieu. Il faut donc rechercher les ressources dans l’homme lui-même en le coupant de Dieu. Chez Feuerbach, on voit que certaines valeurs demeurent, d’ailleurs il est plutôt altruiste, mais nous verrons également pourquoi cela ne peut pas tenir. Chez Marx, les idées doivent passer dans la société qu’il faut au préalable renverser car elle est trop imprégnée de Dieu : « La religion des travailleurs est sans dieu, parce qu’elle cherche à restaurer la divinité de l’homme. »[8] La priorité est donc claire : Chasser Dieu. L’athéisme agit en antithéisme. On perçoit déjà que l’antithéisme va bientôt chasser l’homme.

            Ainsi la pensée de Feuerbach a engendré le marxisme. Comme le fait justement remarquer de Lubac, Feuerbach ne peut être considéré comme le fondateur du marxisme, mais plutôt comme le père spirituel. Lénine disait lui-même : « Le marxisme venu de la critique religieuse de Feuerbach, ne peut être par son origine qu’antireligieux. C’est sur ce point de passage que devrait donc porter toute critique intelligente de l’athéisme marxisme »[9] Le cœur du problème est une nouvelle fois défini : Dieu.

 

1.c) Nietzsche (1840-1900)

            Avant de faire le lien entre les pensées de Feuerbach et Marx avec ce que nous vivons aujourd’hui, regardons maintenant ce que nous dit Nietzsche, auteur obligatoire dans nos études françaises… Le grand thème chez lui c’est « la mort de Dieu ! »

            Pour lui, la religion résulte d’une sorte de dédoublement de la personne. Il rejoint Feuerbach en un sens car il voit Dieu comme une illusion façonnée par l’homme, illusion qui n’est autre que le miroir de l’homme. Dans ce miroir l’homme voit la puissance et l’amour, attributs qu’il pense appartenir à Dieu. De fait ils appartiennent à l’homme, mais il ne veut pas se les attribuer. Il ne peut se considérer que faible et pitoyable. Ainsi, Nietzsche voit comme une urgence de remédier à cette vision afin que l’homme puisse retrouver ses états d’âme « hauts et fiers ». Pour cela une seule chose est nécessaire : il faut tuer Dieu. De Lubac synthétise cela en ces termes : « C’est l’homme qui doit s’affranchir, par un acte de sa volonté. Il doit oser. La foi en Dieu, telle que le christianisme surtout l’a inculquée, a eu pour effet de dompter l’homme : il faut, en arrachant l’homme à cette foi, l’élever pour lui permettre enfin de s’élever. Proclamons donc hardiment : « la mort de Dieu ». »[10]

            Nietzsche ne montre pas la mort de Dieu par les preuves mais par « l’histoire » dit-il. Il abandonne le raisonnement pour le goût : « Maintenant c’est notre goût qui décide contre le christianisme, ce ne sont plus les arguments. » Ainsi, contrairement à Feuerbach, on en arrive à pulvériser toute valeur, toute morale. « La mer, notre mer, de nouveau nous ouvre ses étendues. » « Jusqu’à présent, l’assaut donné au christianisme est non seulement timide, mais il porte à faux. Tant que l’on ne ressentira pas la morale du christianisme comme un crime capital contre la vie, ses défenseurs auront beau jeu. » « J’inaugure une nouvelle forme de pensée… personne encore, n’a considéré la morale chrétienne comme quelque chose en dessous de lui… Qui donc, avant moi, est descendu dans les cavernes d’où jaillit l’haleine empoisonnée de cette espèce d’idéal, l’idéal des calomniateurs du monde ? »[11] Pour Nietzsche, se libérer ne signifie pas la décadence morale que nous connaissons. Il s’agit d’accomplir la volonté de puissance. Volonté qu’il faut entendre davantage comme « instinct ». Il s’inscrit dans la théorie de l’évolution : l’évolution de l’homme n’est pas terminée. Celui qui a une volonté forte doit s’imposer pour l’évolution de l’homme, le faible doit disparaître.

            Nietzche va mettre sur pied sa théorie impitoyable du surhomme. Ce surhomme qui doit faire avancer l’évolution de l’espèce humaine. Cette évolution doit se faire envers et contre tout, même au prix du sacrifice des autres, même au prix de la vérité : « Le monde de la vérité, nous l’avons aboli. » Le surhomme ne doit pas montrer une quelconque pitié pour l’homme qui ne contribue pas à ce développement. Le surhomme « est l’homme violent… il a pour mission de commander et d’imposer la loi, sa recherche est création, sa création est législation, sa volonté est vérité, et volonté de puissance. » Roger Verneau explique la vision de Nietzsche dans son histoire de la philosophie contemporaine : « Le surhomme se caractérise d’abord par son orgueil, lequel n’est autre chose que la conscience d’être créateur des valeurs… Sa vitalité est agressive, puisque la guerre est nécessaire à la victoire… le surhomme est dur, sans pitié pour les faibles… "Qui atteindra quelque chose de grand s’il ne sent pas la force et la volonté d’infliger de grandes souffrances… Ne pas succomber aux assauts de la détresse intime et du doute troublant quand on inflige une grande douleur et qu’on entend le cri de cette douleur, voilà qui est grand." »[12]

Il voulait libérer l’homme, mais quelle libération a-t-il apportée ? Il le reconnaît lui-même : « Nous devons nous attendre à un longue suite de démolitions, de ruines, de bouleversements… Je promets la venue d’une époque tragique… une catastrophe grâce à moi. »[13] Sa théorie du surhomme a été magnifiquement appliquée par un homme, hélas bien connu : Hitler.

1.d) Conclusion : dissolution de l’homme

Arrivés ici, nous cernons déjà les impasses de l’humanisme athée. En voulant tuer Dieu, l’humanisme athée a tué l’homme. Comme le dit de Lubac, nous sommes arrivés à une dissolution de l’homme. Nicolas Berdiaev dit juste lorsqu’il affirme que « là où il n’y a pas Dieu, il n’y a pas d’homme non plus. » De Lubac en tire merveilleusement les conséquences : « Qu’est devenu l’homme de cet humanisme athée ? Un être que l’on ose plus appeler « être », une chose qui n’a plus de dedans… Rien n’empêche de l’utiliser comme un matériel ou comme un outil…rien n’empêche même de le rejeter comme inutilisable… en réalité il n’y a plus d’homme, parce qu’il n’y a plus rien au dessus de l’homme… L’humanisme athée ne pouvait aboutir qu’à une faillite. L’homme n’est lui-même que parce que se face est illuminée d’un rayon divin. »[14] Comment ne pas y voir les fondements de l’avortement, de l’euthanasie, de la GPA et de la PMA ?

Benoît XVI disait également : « la plus grande force qui soit au service du développement, c’est donc un humanisme chrétien, qui ravive la charité et se laisse guider par la vérité, en accueillant l’une et l’autre comme des dons permanents de Dieu. L’ouverture à Dieu entraîne l’ouverture aux frères et à une vie comprise comme une mission solidaire et joyeuse. Inversement, la fermeture idéologique à l’égard de Dieu et l’athéisme de l’indifférence, qui oublient le Créateur et risquent d’oublier aussi les valeurs humaines, se présentent aujourd’hui parmi les plus grands obstacles au développement. L’humanisme qui exclut Dieu est un humanisme inhumain. »[15]

2 - La réponse de Soljenitsyne

Regardons maintenant la personnalité de Soljenitsyne. Sa vie, ses écrits, nous montrent où est la vraie dignité de l’homme et où est sa grandeur. Comme un visionnaire, il pointe du doigt le cœur du problème et nous indique quelle attitude nous devons adopter pour, non seulement ne pas se laisser contaminer, mais aussi résister !

2. a) Sa vie et sa condamnation du communisme.

Pour cette partie nous nous appuyons sur un dossier que la Nef lui a consacré en 2007.

La Russie tombe sous le joug communiste après la révolution de 1917. Comme nous l’avons déjà dit, c’est un régime de terreur et de mensonge, un régime qui a pour but premier de rejeter Dieu. Soljenitsyne naît à ce moment là, en décembre 1918. Elevé par une mère bien chrétienne, adolescent il rejette la foi et étudie avec détermination Marx et Lénine et adhère à leur idéologie. Il devient officier dans l’armée. Il avait cru à la révolution mondiale, il l’avait désirée. Il était complètement aveuglé sur l’inhumanité du parti, et cela malgré la déportation de membres de sa famille. Dans une lettre en 1945, il critique cependant la « politique » de "moustache", Staline. La lettre ayant été lue par la police secrète, il est envoyé en camp. Lui ne sait pas quelle en est la cause. Il découvre là bas de nombreux innocents. Ce fut alors le début de l’illumination. Sans cette épreuve il aurait continué à croire au mensonge et à s’incliner devant les crimes. Il va découvrir que la souffrance peut être rédemptrice, elle va lui faire découvrir où sont le bien et le mal, qui, comme nous l’avons vu, disparaissent dans l’humanisme athée. La souffrance apprend que « la frontière entre le mal et le bien passe dans le cœur de chaque homme. » Il va prendre cette souffrance comme un avertissement de Dieu qui lui demande de se reprendre. Un Dieu providentiel qui intervient dans la vie de l’homme. Il reconnaîtra alors que le camp l’a délivré de sa prison idéologique. Sa guérison miraculeuse d’un cancer peu après sa sortie du camp achèvera sa conversion. On voit combien on peut se laisser séduire et aveugler par une idéologie pleine de mensonge et de cruauté. Premier avertissement : toujours nous méfier de ne pas nous laisser happer par l’idéologie du monde qui nous entoure. Nous y reviendrons.

Fort de ceci, Soljenitsyne voulut alors servir la vérité. Il s’ingénia à écrire la fameuse trilogie l’archipel du goulag. Il ne voulait pas laisser inconnu le malheur des 28 millions d’hommes passés dans les camps durant le règne de Staline. Plus qu’un martyrologe, c’est un appel à un renouvellement moral de chacun et par conséquent du peuple dans son ensemble. Renouvellement qui doit passer par la reconnaissance du mal accompli, par le repentir, le ressaisissement de soi, par le bien et le combat pour la justice. Avec ce que nous avons vu dans notre première partie nous voyons combien il visait juste et attaquait le mal à sa racine. Il montre que si chacun avait refusé de collaborer (par peur soit par confort), le régime n’aurait pu tenir. Il appelle chacun à ne pas renoncer à sa liberté et à sa responsabilité morale. Sa conviction était claire : la Russie s’est détournée de Dieu, et pour cette raison elle a subi le châtiment de la révolution qui l’a terrassée. Il l’appelle à se convertir. Il ne craint pas non plus de dénoncer la faiblesse de l’Église sur place. Il rappelait que si l’Église se compromet, elle perd sa raison d’être. Dans un autre ouvrage  le chêne et le veau, le thème de la vérité revient. Il veut montrer comment, concrètement, un individu peut se libérer du mensonge idéologique et retrouver sa liberté morale et donc sa réelle liberté d’agir. Un article sur la façon de résister à un Etat totalitaire porte ce titre significatif : Ne pas vivre dans le mensonge. Deuxième avertissement : Ne pas vivre dans le mensonge, ne pas se compromettre.

En 1973, l’archipel du goulag sort en russe à Paris. Des copies clandestines arrivent petit à petit en Russie. L’article ne pas vivre dans le mensonge sort peu de temps après. En février 1974 il est expulsé et déchu de sa nationalité. La vérité gêne. Ce refus du mensonge, la fidélité à la vérité est tout son combat. Soljenitsyne dut constater combien ce combat devait être aussi mené en Occident. En 1974, nous sommes en pleine guerre froide. Mais cette guerre ne repose hélas pas sur les idéaux, mais sur des tactiques géopolitiques. Soljenitsyne, parce qu’il est témoin de la vérité, n’est pas bien vu en occident. L’humanisme athée que nous avons décrit dans la première partie faisait ses ravages aussi en Occident. Il n’avait apparemment pas le visage violent de l’URSS, mais les convictions étaient là : bannir Dieu et sa morale. Ce sont les revendications de Mai 68 : plus le droit d’interdire. Rejet de la foi comme entravant la liberté humaine. Aujourd’hui encore on se réclame du mythe de Prométhée, nous y reviendrons. Nous sommes en plein dans cet humanisme athée et nous ne devons pas nous endormir. Arrivé en Occident, Soljenitsyne n’avait pas perdu son regard pénétrant et sut voir que nous étions malades nous aussi. Troisième avertissement : nous sommes concernés aujourd’hui ! Nous devons mener le combat aujourd’hui !

Témoin de la Vérité, Soljenitsyne n’eut pas peur de l’annoncer dans une conférence à l’université de Harvard, à Cambridge près de Boston. Arrêtons-nous sur certains passages pour en saisir les points capitaux.

2. b) Discours de Harvard : remise en cause du modèle occidental.

Soljenitsyne est donc expulsé de l’URSS en 1974. Le 8 juin 1978, quatre ans plus tard, il prononce le fameux discours de Harvard, discours qui finira de le faire détester en Occident. Le nœud dur qui fonde l’athéisme marxiste est le même que celui qui fonde l’athéisme occidental libéral. Relevons donc certaines phrases de ce discours lumineux.

Il commence d’abord par rappeler son amour de la vérité. Il le fait d’une façon à la fois délicate et sans ambigüité : « La devise de Harvard est VERITAS. La vérité est rarement douce à entendre ; elle est presque toujours amère. Mon discours d'aujourd'hui contient une part de vérité ; je vous l'apporte en ami, non en adversaire. » Le ton est donné en même temps que le thème.

Sa première analyse va se focaliser sur la racine du mal qui s’immisce dans la société. Ce mal vient de la chute des élites et de leur manque de courage : « Le déclin du courage est peut-être le trait le plus saillant de l'Ouest aujourd'hui pour un observateur extérieur… Ce déclin du courage est particulièrement sensible dans la couche dirigeante et dans la couche intellectuelle dominante, d'où l'impression que le courage a déserté la société toute entière… Faut-il rappeler que le déclin du courage a toujours été considéré comme le signe avant coureur de la fin ?... Quand les États occidentaux modernes se sont formés, fut posé comme principe que les gouvernements avaient pour vocation de servir l'homme, et que la vie de l'homme était orientée vers la liberté et la recherche du bonheur (en témoigne la déclaration américaine d'Indépendance). Aujourd'hui, enfin, les décennies passées de progrès social et technique ont permis la réalisation de ces aspirations : un État assurant le bien-être général. Chaque citoyen s'est vu accorder la liberté tant désirée, et des biens matériels en quantité et en qualité propres à lui procurer, en théorie, un bonheur complet, mais un bonheur au sens appauvri du mot, tel qu'il a cours depuis ces mêmes décennies. »

De cette analyse il constate que la société est devenue dépressive et matérialiste : « Au cours de cette évolution, cependant, un détail psychologique a été négligé : …Cette compétition active et intense finit par dominer toute pensée humaine et n'ouvre pas le moins du monde la voie à la liberté du développement spirituel… Même la biologie nous enseigne qu'un haut degré de confort n'est pas bon pour l'organisme. Aujourd'hui, le confort de la vie de la société occidentale commence à ôter son masque pernicieux. La société occidentale s'est choisie l'organisation la plus appropriée à ses fins, une organisation que j'appellerais légaliste… Si quelqu'un se place du point de vue légal, plus rien ne peut lui être opposé ; nul ne lui rappellera que cela pourrait n'en être pas moins illégitime. Impensable de parler de contrainte ou de renonciation à ces droits, ni de demander de sacrifices ou de gestes désintéressés : cela paraîtrait absurde. »

De là découle ce qu’il appelle une médiocrité spirituelle : « Quand la vie est tout entière tissée de relations légalistes, il s'en dégage une atmosphère de médiocrité spirituelle qui paralyse les élans les plus nobles de l'homme… Il est temps, à l'Ouest, de défendre non pas tant les droits de l'homme que ses devoirs. » Cette médiocrité spirituelle va engendrer une destruction spirituelle de l’homme : « une liberté destructrice et irresponsable s'est vue accorder un espace sans limite. Il s'avère que la société n'a plus que des défenses infimes à opposer à l'abîme de la décadence humaine, par exemple en ce qui concerne le mauvais usage de la liberté en matière de violence morale faite aux enfants, par des films tout pleins de pornographie, de crime, d'horreur. » Il montre justement que cette destruction spirituelle entraîne la violence : « Et pourtant, il est bien étrange de voir que le crime n'a pas disparu à l'Ouest, alors même que les meilleures conditions de vie sociale semblent avoir été atteintes. Le crime est même bien plus présent que dans la société soviétique, misérable et sans loi... » Il vient ici de nous montrer la chute, par étape, dans le gouffre : une élite dévoyée conduit au légalisme ; le légalisme conduit au plaisir sans bornes ; celui-ci conduit à la perte des valeurs spirituelles ; cette perte conduit à la violence… Où est le respect de l’homme ?

Il fustige ensuite les médias qui entretiennent cet appauvrissement : « La presse, aussi, bien sûr, jouit de la plus grande liberté. Mais pour quel usage ?... Combien de jugements hâtifs, irréfléchis, superficiels et trompeurs sont ainsi émis quotidiennement, jetant le trouble chez le lecteur, et le laissant ensuite à lui-même ? … Il existe peut-être une liberté sans limite pour la presse, mais certainement pas pour le lecteur : les journaux ne font que transmettre avec énergie et emphase toutes ces opinions qui ne vont pas trop ouvertement contredire ce courant dominant… » Cette dictature se retrouve à l’université : « Vos étudiants sont libres au sens légal du terme, mais ils sont prisonniers des idoles portées aux nues par l'engouement à la mode. » Fait-il remarquer.

Fort de cette réalité, Soljenitsyne se pose la question : comment l’occident est-il arrivé jusque là ? Voici sa réponse : « Comment l'Ouest a-t-il pu décliner, de son pas triomphal à sa débilité présente ? A-t-il connu dans son évolution des points de non-retour qui lui furent fatals, a-t-il perdu son chemin ? Il ne semble pas que cela soit le cas. L'Ouest a continué à avancer d'un pas ferme en adéquation avec ses intentions proclamées pour la société, main dans la main avec un progrès technologique étourdissant. Et tout soudain il s'est trouvé dans son état présent de faiblesse. Cela signifie que l'erreur doit être à la racine, à la fondation de la pensée moderne. Je parle de la vision du monde qui a prévalu en Occident à l'époque moderne. Je parle de la vision du monde qui a prévalu en Occident, née à la Renaissance, et dont les développements politiques se sont manifestés à partir des Lumières. Elle est devenue la base de la doctrine sociale et politique et pourrait être appelée l'humanisme rationaliste, ou l'autonomie humaniste : l'autonomie proclamée et pratiquée de l'homme à l'encontre de toute force supérieure à lui. On peut parler aussi d'anthropocentrisme : l'homme est vu au centre de tout… Voilà qui engagea la civilisation occidentale moderne naissante sur la pente dangereuse de l'adoration de l'homme et de ses besoins matériels. Tout ce qui se trouvait au-delà du bien-être physique et de l'accumulation de biens matériels, tous les autres besoins humains, caractéristiques d'une nature subtile et élevée, furent rejetés hors du champ d'intérêt de l'Etat et du système social, comme si la vie n'avait pas un sens plus élevé. De la sorte, des failles furent laissées ouvertes pour que s'y engouffre, le mal et son haleine putride souffle librement aujourd'hui. Plus de liberté en soi ne résout pas le moins du monde l'intégralité des problèmes humains, et même en ajoute un certain nombre de nouveaux… »

Soljenitsyne faisait donc remarquer que l’Ouest est aussi matérialiste que l’Est ! Que comme l’Est, l’Ouest avait rejeté Dieu. Le problème est là ! « Dans les jeunes démocraties, comme la démocratie américaine naissante, tous les droits de l'homme individuels reposaient sur la croyance que l'homme est une créature de Dieu. C'est-à-dire que la liberté était accordée à l'individu de manière conditionnelle, soumise constamment à sa responsabilité religieuse. Tel fut l'héritage du siècle passé… une émancipation complète survint, malgré l'héritage moral de siècles chrétiens, avec leurs prodiges de miséricorde et de sacrifice. Les États devinrent sans cesse plus matérialistes. L'Occident a défendu avec succès, et même surabondamment, les droits de l'homme, mais l'homme a vu complètement s'étioler la conscience de sa responsabilité devant Dieu et la société. » Cette absence de Dieu est pour lui bien plus grave que la guerre : « Je ne pense pas au cas d'une catastrophe amenée par une guerre mondiale, et aux changements qui pourraient en résulter pour la société… Mais il est une catastrophe qui pour beaucoup est déjà présente pour nous. Je veux parler du désastre d'une conscience humaniste parfaitement autonome et irréligieuse… Sur la route qui nous a amenés de la Renaissance à nos jours, notre expérience s'est enrichie, mais nous avons perdu l'idée d'une entité supérieure qui autrefois réfrénait nos passions et notre irresponsabilité. Nous avions placé trop d'espoirs dans les transformations politico-sociales, et il se révèle qu'on nous enlève ce que nous avons de plus précieux : notre vie intérieure. »

L’appel final est donc clair : pour se relever, il faut retrouver les valeurs : « Il est impératif que nous revoyions à la hausse l'échelle de nos valeurs humaines… Quand bien même nous serait épargné d'être détruits par la guerre, notre vie doit changer si elle ne veut pas périr par sa propre faute. » Il faut donc œuvrer pour arrêter cette chute où l’homme va vers sa perte. Ainsi il conclut son intervention en ces termes : « Cela va requérir de nous un embrasement spirituel. Il nous faudra nous hisser à une nouvelle hauteur de vue, à une nouvelle conception de la vie… Notre ascension nous mène à une nouvelle étape anthropologique. Nous n'avons pas d'autre choix que de monter : toujours plus haut. »

Si nous reprenons, son développement est clair. Il dénonce l’humanisme athée qui fait son œuvre à l’Est comme à l’Ouest et qui a de graves conséquences… Par souci de la Vérité il veut faire la lumière sur cette triste réalité. Pour ce faire, il commence par montrer la chute de l’élite actuelle avec le déclin du courage qui s’en suit. Cette chute conduit à une société où les individus ne recherchent que leur seul plaisir égoïste car ils ne sont plus guidés par des hommes capables de rappeler les vrais idéaux. Par le fait même le côté spirituel de l’homme s’éteint pour être à la merci de n’importe quelle manipulation médiatique qui ne fait que l’enfoncer davantage. Ce problème porte un nom : le matérialisme. C’est pourquoi il dut affirmer en toute franchise : « Mais si l'on me demandait si, en retour, je pourrais proposer l'Ouest, en son état actuel, comme modèle pour mon pays, (nous sommes en 1978 !) il me faudrait en toute honnêteté répondre par la négative. Non, je ne prendrais pas votre société comme modèle pour la transformation de la mienne. On ne peut nier que les personnalités s'affaiblissent à l'Ouest, tandis qu'à l'Est elles ne cessent de devenir plus fermes et plus fortes… Après avoir souffert pendant des décennies de violence et d'oppression, l'âme humaine aspire à des choses plus élevées, plus brûlantes, plus pures que celles offertes aujourd'hui par les habitudes d'une société massifiée, forgées par l'invasion révoltante de publicités commerciales, par l'abrutissement télévisuel, et par une musique intolérable. »

3 - Conséquence pour aujourd’hui : être des dissidents

Si nous revenons à notre film, bien des choses s’éclairent et nous voyons combien les pensées philosophiques, que nous pensons être à mille lieux de notre quotidien, ont formé la société dans laquelle nous sommes. De fait, elles continuent de la former. Nous sommes toujours dans cette optique de chasser Dieu afin qu’il ne devienne même plus une question. Ce fut particulièrement fort pendant la troisième république avec la séparation de l’Église et de l’État. Pie X pouvait affirmer à ce moment là aux catholiques français : « Ce n’est plus la foi chrétienne qu’on veut à tout prix déraciner du milieu des cœurs, c’est encore toute croyance qui, élevant l’homme au-dessus des horizons de ce monde, reporte surnaturellement son regard lassé vers le ciel. On a déclaré la guerre à tout ce qui est surnaturelle, parce que derrière le surnaturelle, Dieu se trouve, et ce qu’on veut rayer du cœur de l’esprit de l’homme c’est Dieu. »[16]

Comme nous l’avons dit, l’obsession de Prométhée est toujours dans les pensées ! Pierre Simon dans De la vie avant toute chose montre qu’il menait le même combat que Feuerbach et Nietzsche. Son livre écrit en 1979 semble décrire le combat que nous menons en 2019 : « Abandonnons nos schémas du passé, nos tables de la Loi et nos livres rouges : alors seulement, nos actes auront retrouvé leur signification, et l'échange ne sera plus réglé par un code que nous ne maîtrisons plus. Cette aspiration, confusément inscrite dans les profondeurs de notre moi archaïque, est soumise à l'accélération du déterminisme de l'histoire, dont je viens d'assembler les éléments disparates et parfois contradictoires. Prométhée est ainsi revenu, mais il ne s'est plus contenté de nous apporter le feu : c'est de tous ses pouvoirs qu'il a dépossédé Zeus, et fait cadeau aux hommes. Il s'agit donc pour nous d'une liberté à conquérir. La nécessité pour l'homme de véhiculer un matériel héréditaire ne suffit pas à entraver le cours ultérieur de la Vie, et donc la conquête rationnelle de son autonomie. »[17] Il disait encore, et nous y retrouvons encore la sève de Nietzsche : « A changer notre attitude et notre comportement devant la vie — n'y voyant plus un don de Dieu mais un matériau qui se gère —, c'est l'avenir tout entier que nous faisons basculer. Voici qu'il subit une brutale secousse. Des millénaires s'achèvent en notre temps. » Ou encore : « Je suis alors conscient que le projet qui se prépare à être voté par les élus du peuple français implique, pour l'homme des temps modernes, une nouvelle définition du bien et du mal. Il élabore une nouvelle morale. » Toutes les questions de Mariage pour tous, de GPA PMA, d’euthanasie, d’avortement… tout s’inscrit dans cette logique de l’humanisme athée, décrite justement par Benoît XVI comme inhumaine. Certains peuvent se dire que cette analyse est un peu exagérée car toute cette idéologie n’est pas vraiment affichée. Cette dissimulation est volontaire, on endort le peuple par les médias comme le disait Soljenitsyne. Pierre Simon écrivait : « Une longue marche où la tactique est primordiale. Il faut procéder point par point, avec minutie et précision. Chaque faux pas est guetté. » C’est triste à dire, mais notre société libérale mondialiste s’inscrit dans l’humanisme athée, comme le communisme et le nazisme l’ont fait à leur manière. La logique décrite par Soljenitsyne : on veut prendre la place de Dieu, on endort le peuple par la consommation et les médias, on se retrouve dans une société sans vie spirituelle qui ne sait plus où sont le bien et le mal, qui veut décider du bien et du mal, qui veut être Dieu ! On comprend que Soljenitsyne ait gêné l’occident ! Philippe de Villiers qui l’a reçu au Puy du Fou a eu la confidence que Soljenitsyne avait demandé asile en France lors de son expulsion. « Les démarches que j’ai effectuées pour obtenir l’asile en 1974 n’ont pas abouti. Votre président M. Giscard d’Estaing, m’a fait dire par son ministre de l’intérieur que ma présence n’était pas souhaitable. »[18] C’était avant le discours à Harvard ! En 2008, lors de l’enterrement de Soljenitsyne, Philippe de Villiers y alla par amitié. On dut aller le chercher pour occuper les places réservées pour les autorités françaises. Personne ne s’est déplacé… pas même l’ambassadeur français « en vacances »…

Nous devons donc résister ! Et le faire dans les moindres choses, dans les petites choses de notre quotidien. Soljenitsyne insistait sur la vérité. Il faut être vrai dans toute sa vie. Bannir tout mensonge, n’accepter aucune compromission aussi subtile soit elle. Se former pour ne pas faire partie de ceux qui se laissent entraîner par la pensée dominante comme les élèves du film. « La foi ne s’éprouve que dans le risque » dit Josh. On le voit ensuite pendant tout le film étudier sa foi, l’approfondir. Ainsi, défendre notre foi nous demande de la connaître ! Il faut surtout retrouver une ardeur de l’âme, vivre de sa foi à fond. De Lubac a bien saisi que l’avancée de l’humanisme athée est la conséquence de la mollesse des chrétiens : « Il s’agit de rendre au christianisme sa force en nous ; ce qui veut dire, avant tout, de le renouveler tel qu’il est en lui-même dans se pureté et dans son authenticité. En fin de compte, ce que nous avons besoin ce n’est même pas d’un christianisme plus viril, ou plus efficace, ou plus héroïque, ou plus fort : c’est de vivre notre christianisme plus virilement, plus efficacement, plus fortement, plus héroïquement s’il le faut. Mais de le vivre tel qu’il est. Il n’y à rien à y changer, rien à y corriger, rien à y ajouter (ce qui ne signifie d’ailleurs pas qu’il n’y ait sans cesse à le recreuser) ; il n’y a pas à l’adapter à la mode du jour. Il faut le rendre lui-même dans nos âmes. Il faut lui rendre nos âmes. »[19] De Lubac le dit bien, ce n’est pas par la force mais en étant forts que nous devons résister.

 

Conclusion

            Le cardinal Sarah nous a offert comme une trilogie par trois homélies qui pourrait s’intituler : résister au monde. Une aux Routiers d’Europe à Vézelay en 2016 ; une autre aux guides aînées à Paray le Monial l’année passée ; et une au Puy du Fou le 15 août 2017. Prenons deux passages pour conclure. Ils nous donnent la bonne feuille de route que nous devons prendre.

Aux routiers :

« Oui, chers amis Routiers, vous devez être conscients de l’héritage qui vous est transmis par vos Chefs, car la vie d’un scout, la vôtre, est tissée de ces références, de ces vertus, qui irriguent vos âmes de baptisés, et si, ce matin, il vous est plus facile de prier qu’à l’ordinaire dans ce magnifique vaisseau de pierres, c’est aussi parce que ces vertus de courage, de loyauté, de fidélité, de don de soi jusqu’au martyr, se reflètent dans les pierres de cette basilique, en particulier dans la sculpture du Christ en majesté que vous pouvez admirer dans le tympan du narthex… Nul n’ignore que, depuis la fondation de la Fédération du Scoutisme Européen en 1956 – il y a exactement soixante ans -, et encore récemment, on a essayé de faire taire les Guides et Scouts d’Europe de diverses manières, plus ou moins insidieuses, en leur demandant notamment de bien vouloir atténuer certaines expressions de leurs textes fondateurs, qualifiés d’inadaptés au monde dit « moderne ».  Or, au plus fort de la tempête, alors qu’une grande agitation s’était emparée de nombreuses communautés paroissiales et religieuses, vos prédécesseurs, véritables « pierres vivantes » de la sainte Eglise – commissaires nationaux, provinciaux, de district, chefs et cheftaines, conseillers religieux, dont beaucoup sont déjà rentrés à la maison du Père – vos prédécesseurs ont tenu bon dans l’épreuve, humblement et dans la prière, tout comme les pierres de cette basilique Sainte-Madeleine, qui continue à défier les siècles en rendant un témoignage silencieux à la chrétienté, à l’écart de notre monde agité, sur la « colline éternelle » de Vézelay.

Bien chers Routiers Scouts d’Europe, vous êtes les héritiers de cette fidélité humble et ferme de vos prédécesseurs. Ne vous laissez pas entrainés par une Europe ivre de ses multiples idéologies qui ont fait beaucoup de mal à toute l’humanité. Songez au marxisme et ses goulags, au nazisme et ses horreurs, et aujourd’hui la théorie du gender qui s’attaque frontalement aux lois de Dieu et de la nature, démolit le mariage, la famille et nos sociétés, et abime nos enfants dès l’âge de l’école. Je le répète l’idéologie du genre, les libertés démocratiques sans mesure et sans limites et l’Isis ont tous la même origine satanique. Vous Routiers Scouts d’Europe si vous résistez à cette Europe sans Dieu, orgueilleusement dominatrice des pauvres et des faibles, et qui nie ses racines chrétiennes, vous l’empêcherez de se suicider et de disparaître, éliminée par des peuples plus virils, plus croyants et plus fiers de leur identité et de leur relation à Dieu. Vous êtes le présent et le futur de l’Europe et de l’Eglise. Vous avez les énergies et la foi, et votre attachement à Jésus Christ vous permettra de reconstruire l’héritage chrétien et la société européenne. »

 

Au Puy du Fou :

« Votre œuvre est nécessaire car nos temps semblent assoupis. Face à la dictature du relativisme, face au terrorisme de la pensée qui, à nouveau, veut arracher Dieu du cœur des enfants, nous avons besoin de retrouver la fraîcheur d’esprit, la simplicité joyeuse et ardente de ces saints et de ces martyrs.

Quand la Révolution voulut priver les Vendéens de leurs prêtes, tout un peuple s’est levé. Face aux canons, ces pauvres n’avaient que leurs bâtons ; Face aux fusils, ils n’avaient que leurs faux ; Face à la haine des colonnes terroristes, ils n’avaient que leur chapelet, leur prière et le Sacré-Cœur cousu sur leur poitrine…

Face au déferlement planifié et méthodique de la Terreur, les Vendéens savaient bien qu’ils seraient écrasés. Ils ont pourtant offert leur sacrifice au Seigneur en chantant. Ils ont été cette brise légère, brise apparemment balayée par la puissante tempête des colonnes infernales. Mais Dieu était là, sa puissance se révèle dans leur faiblesse.

L’histoire – la véritable histoire – sait qu’au fond, les paysans vendéens ont triomphé.

Par leur sacrifice, ils ont empêché que le mensonge de l’idéologie ne règne en maître. Grâce aux Vendéens, la Révolution a dû jeter son masque et révéler son visage de haine de Dieu et de la Foi. Grâce aux Vendéens, les prêtres ne sont pas devenus les esclaves serviles d’un état totalitaire, ils ont pu demeurer les libres serviteurs du Christ et de l’Église.

Les Vendéens ont entendu l’appel que le Christ nous lance dans l’Évangile de ce jour : « Courage ! C’est moi, n’ayez pas peur ! ». Alors que grondait la tempête, alors que la barque prenait l’eau de toutes parts, ils n’ont pas eu peur, tant ils étaient certains que, par delà la mort, le Cœur de Jésus serait leur unique patrie. »

 

            Soyons donc fiers de notre foi et de Jésus. Oui, Nietzsche a raison lorsqu’il dit que nous donnons tout à Dieu. Mais il se trompe quand il refuse de le faire. Oui, tout appartient à Dieu et nous recevons tout de lui. Et parce que nous recevons tout de lui nous pouvons nous lever sans crainte car il nous donne sa force pour être des dissidents, des témoins de son Évangile pour le bien des hommes et le salut de leurs âmes. Nous ne sommes que des petits instruments bien faibles, mais Jésus nous demande simplement d’être fidèles et de témoigner humblement par notre attitude et nos paroles. Alors la victoire viendra, non par nous, mais par le Triomphe du Cœur Immaculé de Marie. Elle vaincra Satan comme elle nous l’a promis à Fatima. Ainsi, malgré l’athéisme qui nous entoure, malgré les moqueries qui peuvent être notre quotidien, rayonnons le joie de croire et soyons des dissidents, des résistants pacifiques, fermes et joyeux. La France attend de nouveaux Soljenitsyne, de nouveaux Vendéens, surtout elle attend de nouveaux saints. La sainteté est la véritable poche de résistance.

Jésus est là ! Vive le Christ Roi ! Vienne le Triomphe du cœur Immaculé de Marie et notre joie sera bien plus grande et bien plus profonde que ceux qui participaient aux spectacles de la conclusion du film Dieu n’est pas mort.

 

[hr]

[1] Jean Paul II, Levez-vous ! Allons !, Editions Plon Mame, 2004, p.168

[2] Henri de LUBAC, Le drame de l’humanisme athée, Éditions Spes, 1945, page 21

[3] Ibidem page 22

[4] Ibidem page 25

[5] Ibidem page 31

[6] Ibidem page 34

[7] Ibidem page 37

[8] Ibidem page 38

[9] Ibidem note page 39

[10] Ibidem page 44

[11] Ibidem pages 119-120

[12] Roger VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, Éditions Beauchesne, 1960, pages 50-51.

[13] Henri de LUBAC, Le drame de l’humanisme, athée, page 61

[14] Ibidem pages 63-64

[15] BENOÎT XVI, Caritas in Veritate, nº 78

[16] Jean SÉVILLA, Quand les catholiques étaient hors la loi, Éditions Perrin, 2005, pages 224-225

[17] Pierre SIMON, De la vie avant toute chose, Éditions Mazarine, 1979, page 258

[18] Philippe de VILLIERS, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, Éditions Albin Michel, 2015, page 166

[19] Henri de Lubac, Le drame de l’humanisme athée, Éditions Spes, 1945, page 131

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