"Consacre-les dans la Vérité" - 1e conférence de la Fête de ND des Neiges 2019
« Consacre-les dans la vérité ! »
L’homélie de Benoît XVI pour le Jeudi Saint 2009
En cette fête de Notre Dame des Neiges, nous désirons approfondir cette expression de Jésus, qui est notre thème pour cette année dans la Communauté : « Consacre-les dans la vérité. » Nous allons nous aider d’écrits du pape émérite Benoit XVI, puisque c’est un thème qu’il a beaucoup approfondi, et en particulier d’une homélie qu’il a faite sur cette prière de Jésus le Jeudi Saint 2009 lors de la Messe chrismale du diocèse de Rome. [1]
L’origine et la signification de cette expression
« Consacre-les dans la vérité. » Cette expression, Jésus l’a employée le Jeudi Saint, au Cénacle. Après avoir longuement parlé à ses disciples, « Jésus leva les yeux au ciel et dit : "Père, l’heure est venue..." » Puis il fait cette longue prière, que l’on appelle la prière sacerdotale, parce que c’est le moment où Jésus, après avoir institué l’Eucharistie, et au moment d’entrer librement dans sa Passion, s’offre à son Père pour le salut du monde. C’est dans cette prière que Jésus demande à son Père au sujet de ses disciples : « Qu’ils soient un, comme nous sommes un. »
Cette prière de Jésus a une particulière intensité : dans ces mots, il nous révèle le contenu de son dialogue avec son Père. Et c’est au cours de cette prière qu’il demande également au sujet de ses disciples : « Consacre-les dans la vérité : ta parole est vérité. » Et un peu plus loin : « Pour eux je me consacre moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, consacrés dans la vérité. » On trouve aussi cette autre traduction : « Sanctifie-les dans la vérité. » Que signifie cette expression ?
Benoît XVI nous dit : « Consacrer quelque chose ou quelqu’un signifie […] donner cette chose ou cette personne en propriété à Dieu, la retirer du cadre de ce qui est nôtre et l’introduire dans son domaine, afin qu’elle ne nous appartienne plus, mais soit totalement de Dieu. » C’est donc un acte de sacrifice. C’est pourquoi l’on trouve aussi parfois, au lieu de « consacrer » ou de « sanctifier », le terme « sacrifier » : « Pour eux je me sacrifie moi-même... » Ces différents termes sont justes, et ensemble ils dévoilent la profondeur de cette prière de Jésus. Consacrer, sanctifier, sacrifier, c’est « sortir du contexte de la vie du monde – c’est "être mis à part" pour Dieu. »
Ainsi, en demandant à son Père de consacrer ses disciples dans la vérité, « le Seigneur demande que Dieu lui-même les attire à lui, dans sa sainteté. » Mais cette « mise à part pour Dieu » n’est pas égoïste : « Justement parce qu’elle est donnée totalement à Dieu, cette réalité existe maintenant pour le monde, pour les hommes, elle les représente et doit les guérir. Nous pouvons aussi dire : séparation et mission forment une unique réalité complète. » [2] C’est d’ailleurs pourquoi Jésus peut dire : « Je me consacre pour eux. »
Ainsi, pour les disciples, cette consécration doit se vivre au quotidien, dans le don de soi : « jour après jour, il faut réaliser ce grand "oui" dans les nombreux petits "oui" et dans les petits renoncements. Ce "oui" des petits pas qui mis ensemble forment le grand "oui", pourra se réaliser sans amertume et sans apitoiement sur soi, seulement si le Christ est vraiment le centre de notre vie. »
Une triple consécration
Pour Benoît XVI, on peut ainsi voir dans l’Évangile « une triple "consécration" : le Père a consacré le Fils et l’a envoyé dans le monde ; le Fils se consacre lui-même et demande qu’à partir de sa consécration, les disciples soient consacrés dans la vérité. » [3]
Ainsi, la première consécration est celle de l’Incarnation du Verbe : Jésus dit en effet de lui-même que le Père a envoyé le Fils dans le monde et l’a consacré (cf. Jn 10, 36).
La seconde consécration est la Passion rédemptrice : « Pour eux je me consacre moi-même » (Jn 17, 19).
La troisième consécration est celle des disciples : « Les disciples doivent être impliqués dans la consécration de Jésus ; en eux aussi doit s’accomplir ce passage de propriété, ce transfert dans la sphère de Dieu et par là doit se réaliser leur envoi dans le monde. "Je me consacre moi-même, afin qu’ils soient eux aussi consacrés en vérité" : leur passage dans la propriété de Dieu, leur "consécration", est liée à la consécration de Jésus Christ, elle est participation à son être consacré. »
Bien sûr, dans cette prière, Jésus prie pour tous les disciples, pour « ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi » (Jn 17, 20). Mais ces mots – « consacre-les dans la vérité » – désignent plus spécialement ceux qui sont consacrés à Dieu d’une manière nouvelle, notamment les prêtres, que Jésus, en ce Jeudi Saint, consacre pour son service : « Si par la consécration des disciples dans la vérité, nous entendons en fin de compte, la participation à la mission sacerdotale de Jésus, alors nous pouvons percevoir dans ces paroles de l’Évangile de Jean l'institution du sacerdoce des Apôtres, du sacerdoce néotestamentaire qui est fondamentalement un service de la vérité. » [4]
Benoît XVI concluait ainsi son homélie par ce témoignage personnel émouvant : « À la veille de mon ordination sacerdotale, il y a 58 ans, j’ai ouvert la Sainte Écriture, parce que je voulais encore recevoir une Parole du Seigneur pour ce jour et pour le chemin que j’aurai à parcourir comme prêtre. Et mon regard est tombé sur ce passage : "Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité". Alors j’ai su : le Seigneur est en train de parler de moi, et il est en train de me parler. C’est exactement ce qui arrivera pour moi demain. »
Notre monde actuel : une relation difficile avec la vérité
Dans l’encyclique Veritatis splendor, Jean-Paul II fait le constat : il y a aujourd’hui une « crise au sujet de la vérité ». [5]
Benoît XVI situait l’origine de cette crise : « la "crise de la vérité" contemporaine est enracinée dans une "crise de la foi". » [6] Nous vivons en effet dans un monde où le mensonge s’est terriblement répandu. Il est parfois même considéré comme un moyen légitime, dans les sphères médiatique, politique, économique, sociale... On ment avec une facilité déconcertante. Pourtant, tous les hommes aspirent à la vérité. Personne ne peut prétendre le contraire. Saint Augustin faisait cette constatation que tout le monde peut faire : « J'ai rencontré beaucoup de gens qui voulaient tromper, mais personne qui voulait se faire tromper. » [7] C’est pourquoi nous devons être, à la suite de Jésus, des apôtres de la vérité.
Dans l’Église également, nous devons vivre en vérité dans la lumière, sans chercher à plaire. Joseph Ratzinger avait déploré une certaine évolution de la théologie, après le concile, « dans laquelle l’intéressant devenait plus important que le vrai. » [8] Nous devons résister à cette culture du mensonge et vivre en nous rappelant la parole de Jésus : « La vérité vous rendra libres » (Jn 8, 32).
Dans son homélie du jeudi saint 2009, Benoît XVI nous encourageait ainsi : « Être plongés dans la vérité et ainsi dans la sainteté de Dieu, cela signifie pour nous accepter aussi le caractère exigeant de la vérité ; s’opposer, dans les grandes choses comme dans les petites au mensonge, qui de manière extrêmement variée est présent dans le monde ; accepter le combat pour la vérité, pour que sa joie la plus profonde soit présente en nous. »
Oui, la vérité est accessible à l’homme
Aujourd’hui, nous devons rappeler que la vérité est accessible à l’homme. Nous devons nous en approcher avec humilité. Comme le disait encore Benoît XVI : « Nous n’avons jamais la vérité, dans le meilleur des cas c’est elle qui nous a. » Mais « nous devons avoir le courage de dire : oui, l’homme doit rechercher la vérité ; il est capable de vérité. (…) il faut apprendre de nouveau et pratiquer l’humilité qui permet de reconnaître la vérité comme porteuse de repères. » [9]
Aujourd’hui, dans la dictature du relativisme, on entend dire que la vérité ne serait pas accessible ; que chacun en aurait une partie ; que ce qui est vrai pour certains ne le serait pas pour d’autres… Et lorsqu’on rappelle l’existence d’une vérité immuable, universelle et accessible, on est accusé d’arrogance et de prétention. Joseph Ratzinger répond : « Il me semble qu'il faut inverser la question de la prétention : n'est-ce pas une prétention de dire que Dieu ne peut nous faire le don de la vérité ? De dire qu'il ne peut nous ouvrir les yeux ? N'est-ce pas mépriser Dieu que de dire que nous sommes nés aveugles et que la vérité n'est pas notre affaire ? N'est-ce pas dégrader l'homme et son désir de trouver Dieu que de nous reconnaître seulement comme des sujets qui, éternellement, ne font que tâtonner ? La véritable arrogance va de pair avec cela, celle qui nous fait vouloir prendre nous-mêmes la place de Dieu et déterminer nous-mêmes qui nous sommes, comment nous voulons agir et ce que nous voulons faire de nous et du monde. » [10]
La vérité est une personne : Jésus
Les hommes ont besoin de vivre dans la vérité « car la vérité est leur lieu de rencontre et l'absence de vérité est ce qui les ferme les uns aux autres. » [11] Cette recherche de la vérité est inhérente à l’homme et à sa dignité. C’est pourquoi il faut la lui faire connaître. Oui, il y a une vérité. Elle a un nom. Elle est une personne, Jésus qui a dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6).
Saint Jean affirme que « Dieu est lumière » (1 Jn 1, 5). Et il résume ainsi le mystère de l’Incarnation : « La lumière a brillé dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée » (Jn 1, 5). Jésus, en venant dans le monde, est venu nous apporter la plénitude de la Révélation sur Dieu. Jésus est le Fils de Dieu, venu sur notre terre –nous revivrons ce mystère en la prochaine fête de Noël. Et il témoignera devant Pilate : « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix » (Jn 18, 37).
Dans son livre Jésus de Nazareth, Benoît XVI demande : « Qu’est ce que Jésus a vraiment apporté, s’il n’a pas apporté la paix dans le monde, le bien-être pour tous, un monde meilleur ? Qu’a-t-il apporté ? La réponse est très simple : Dieu. Il a apporté Dieu. (…) Jésus a apporté Dieu et avec lui la vérité sur notre origine et notre destinée ; la foi, l’espérance et l’amour. » [12] Voilà pourquoi nous avons accès à la vérité. Non parce que nous serions meilleurs que les autres. Mais parce que, voyant notre faiblesse, Dieu est venu à nous pour nous en faire le don.
Or ce don est aussi une responsabilité envers les autres, un service que nous leur devons. Nous serons jugés sur ce que nous aurons fait de ce trésor qui nous est confié pour que nous le partagions et le fassions fructifier. Saint Paul rappelle que « ce trésor que nous avons reçu, nous le portons dans des vases d’argile » (2 Co 4, 7). Nous n’avons rien que nous n’ayons reçu, ce qui nous empêche de nous en glorifier (cf. 1 Co 4, 7). Le concile en conclut que si les chrétiens ne correspondent pas à cette grâce du Christ, « ce n'est pas le salut qu'elle leur vaudra, mais un plus sévère jugement. » (13)
Nous devons donc être courageux pour témoigner de la vérité. Benoît XVI écrivait en 2014, dans un témoignage sur son prédécesseur : « Jean-Paul II ne recherchait pas les applaudissements et il n’a jamais regardé autour de lui avec inquiétude en se demandant comment ses décisions allaient être accueillies. Il a agi en fonction de sa foi et de ses convictions et il était même prêt à recevoir des coups. Le courage de la vérité est, à mes yeux, un critère de premier ordre de la sainteté. » [14]
Avec Notre-Dame des Neiges, soyons témoins de la vérité dans l’amour !
Dans son homélie du Jeudi Saint 2009, le pape émérite disait encore : « Quand nous parlons d’être consacrés par la vérité, nous ne devons pas non plus oublier qu’en Jésus-Christ vérité et amour sont une seule réalité. Être plongés en lui signifie être plongés dans sa bonté, dans l’amour vrai. L’amour vrai ne se trouve pas à bon marché, il peut même être très exigeant. Il oppose résistance au mal, pour conduire l’homme vers le bien véritable. »
Nos fondateurs ont beaucoup insisté sur ce lien entre l’amour et la vérité. Mère Marie-Augusta avait compris ceci dans sa prière : « Notre mission c’est apôtres de l’amour. » Et notre père fondateur parlait de la vérité nécessaire à l’amour authentique : « Il ne peut y avoir d’éducation des cœurs à l’amour authentique sans illumination des esprits par la Vérité. ». Ainsi, en cette fête de Notre-Dame des Neiges, nous voulons demander à la Vierge Marie le courage de la vérité, dans l’humilité. Avec la grâce de Jésus, nous pourrons répondre à la demande de la Vierge Marie aux serviteurs des noces de Cana : « Faites tout ce que Jésus vous dira » (Jn 2, 5).
Il y a quelques jours, dans un des rares messages qu’il donne encore, Benoît XVI a écrit : « Seule l’humilité peut trouver la Vérité, et la Vérité à son tour est le fondement de l’Amour, dont tout dépend finalement. » [15] Demandons humblement à la Vierge Marie de faire de nous des apôtres de l’amour et des coopérateurs de la vérité. Car « l’amour trouve sa joie dans la vérité » (1 Co 13, 6).
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Références
[1] Cf. BENOÎT XVI, Homélie pour la Messe chrismale, jeudi 9 avril 2009. Les citations dont l’origine n’est pas précisée sont extraites de cette homélie.
[2] Joseph RATZINGER-BENOÎT XVI, Jésus de Nazareth ; la figure et le message – De l’entrée à Jérusalem à la Résurrection, Œuvres complètes (volume VI, tome 1), Parole et Silence, 2014, page 458
[3] Joseph RATZINGER-BENOÎT XVI, Jésus de Nazareth ; la figure et le message – De l’entrée à Jérusalem à la Résurrection, Œuvres complètes (volume VI, tome 1), Parole et Silence, 2014, page 457
[4] Joseph RATZINGER-BENOÎT XVI, Jésus de Nazareth ; la figure et le message – De l’entrée à Jérusalem à la Résurrection, Œuvres complètes (volume VI, tome 1), Parole et Silence, 2014, page 460
[5] JEAN-PAUL II, Veritatis splendor, nº 32
[6] BENOÎT XVI, Discours à Washington aux représentants du monde universitaire catholique, 17 avril 2008
[7] Saint AUGUSTIN, Confessions, X, 23, 33
[8] Joseph RATZINGER, La communion de foi – tome 1 : Croire et célébrer, Parole et silence, 2008, page 184
[9] BENOÎT XVI, Lumière du monde ; Le pape, l’Église et les signes des temps, entretien avec Peter Seewald, Montrouge, Bayard, 2010, pages 75-76
[10] Joseph RATZINGER, Chemins vers Jésus, Parole et Silence, 2004, pages 69-71
[11] Joseph RATZINGER, Discours fondateurs (1960-2004), Fayard, 2008, pages 203-204
[12] Joseph RATZINGER-BENOÎT XVI, Jésus de Nazareth ; 1 - Du baptême dans le Jourdain à la Transfiguration, Flammarion, Paris, 2007, pages 63-64
[13] Lumen gentium, nº 14
[14] Wlodzimierz REDZIOCH dir., Accanto a Giovanni Paolo II. Gli amici e i collaboratori raccontano, avec une contribution exclusive du pape émérite Benoît XVI, Edizioni Ares, Milan, 2014, 236 pages
[15] BENOÎT XVI, Message pour les 50 ans de la Commission Théologique Internationale, 22 octobre 2019