La mission Berliet Ténéré
La France a longtemps nourri de grandes ambitions pour les vastes étendues désertiques de ses territoires coloniaux d’Afrique. Dans les années 1960, le Sahara est ainsi l’objet de multiples convoitises, en particulier pour ses lucratifs gisements de pétrole. C’est dans cette perspective que, en métropole, un industriel lyonnais, Paul Berliet, fabricant de camions, va initier une mission inédite d’exploration du désert.
Nous sommes en novembre 1959. Plusieurs camions Berliet tout-terrain, accompagnés de quelques Land-Rover, s’élancent dans le désert pour la « Mission Berliet-Ténéré » (du nom de la région traversée).
L’objectif de la mission est triple. Il est d’abord économique. La prospection pétrolière, en particulier par la Shell, implique d’importants travaux routiers, dont il faut d’abord reconnaître le tracé optimal. Parti du port d’Alger, le convoi traverse tout le pays du Nord au Sud, poursuit vers le Niger et s’arrête à la frontière du Tchad. De là, il repart vers le Nord par un autre itinéraire jusqu’au cœur de l’Algérie, et rejoint Alger. Il couvre ainsi 10 000 km en cinquante jours.
L’expédition est ensuite scientifique. Ces gigantesques territoires sont encore très méconnus des biologistes et archéologues. Au cours de la mission, ceux-ci imposent de fréquents arrêts d’étude. Ils découvrent ainsi les traces d’un peuplement datant des alentours de 3200 av. JC, dans des étendues à présent totalement désertiques.
L’objectif est enfin technique. En effet, pour Berliet, ce périple est l’occasion d’offrir à la société Shell la preuve de la fiabilité de ses camions. Le développement commercial de l’industriel tient beaucoup à la prospection pétrolière. Or, il vient de subir un échec coûteux avec le lancement raté de son T100, un énorme camion de 61 tonnes et 700 chevaux, capable de franchir n’importe quelles dunes de sable, chargé de plus de 100 tonnes de matériel. C’est à l’époque le plus gros camion du monde. Malheureusement, la découverte de gisements assez accessibles le rendra inutile, et les ventes à l’export ne décolleront jamais. Bien que beaucoup plus modeste, le Berliet GBC de la Mission, à six roues motrices, capable d’emporter six tonnes de matériel, fait en revanche ses preuves, et son aisance dans le désert lui vaudra le surnom de « gazelle ».
Outre le retentissement médiatique qu’elle eut à l’époque, la Mission Berliet-Ténéré connaîtra deux fruits importants, l’un d’ordre technique, l’autre d’ordre philanthropique. Sur le plan technique, la performance du GBC, qui s’est aussi illustré dans plusieurs autres raids, ne laisse pas l’armée indifférente. Après quelques modifications nécessaires, des centaines d’exemplaires rejoignent les casernes françaises. Plusieurs fois modernisés, et rebadgés « Renault » suite au rachat de la marque, ces véhicules resteront en service jusqu’en 2030.
L’autre fruit se situe sur le plan du mécénat. Fort de ce succès, Paul Berliet va devenir pionnier dans les partenariats philanthropiques. Ainsi, par exemple, sans doute inspiré par la foi qui l’animait, il va financer pendant trente ans les travaux de restauration de l’abbaye de Sénanque. Voilà comment un chrétien altruiste aux commandes d’un empire industriel a su rayonner significativement sur la culture bien au-delà de son domaine initial.
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