C'est à eux que je t'envoie !
Homélie pour le 14e Dimanche du Temps Ordinaire
Dimanche 4 juillet 2021
Être prophète est un métier dangereux...
Regardons Jésus. Au cours de sa mission, il passe à Nazareth, dans sa ville. Il retrouve les personnes avec lesquelles il a vécu jusqu’à l’âge de trente ans.Eux qui ont toujours vu en Jésus et en la Sainte Famille une famille ordinaire, se demandent : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? »
Le questionnement sous-jacent à ces interrogations est double : il est à la fois l’expression d’une forme d’admiration, puisqu’ils sont bien obligés de reconnaître en Jésus une étonnante sagesse ; mais il est aussi hélas le signe d’un manque de foi, voire d’un refus. On sent poindre une irritation face à ce qu’ils croient être une prétention de Jésus, lui qui n’est selon eux que « le charpentier », dont ils connaissent la mère, Marie, ainsi que les frères et les sœurs – c'est-à-dire, en langage oriental, les cousins et la famille élargie.
Saint Marc nous révèle ce qui habite le Cœur de Jésus à ce moment-là : « Il s’étonna de leur manque de foi. » Voilà à quoi est confronté Jésus. Et tout prophète, avant et après lui… Dans la première lecture, nous voyons Dieu envoyer Ézéchiel comme prophète. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Dieu est franc : il n’est pas un homme politique qui ferait des promesses à ses électeurs ! « Je t’envoie vers une nation rebelle qui s’est révoltée contre moi. (…) Les fils ont le visage dur, et le cœur obstiné ; c’est à eux que je t’envoie. » Or cette mauvaise disposition du peuple auquel le prophète est envoyé ne change rien, absolument rien à la mission confiée par Dieu : « Tu leur diras mes paroles, qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas » (Ez 2, 7). Car « ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux. »
Mais qu’est-ce qu’un prophète ? Ce n’est pas d’abord quelqu’un qui annonce l’avenir. C’est quelqu’un qui parle de la part de Dieu, et rappelle les paroles de Dieu. Par conséquent sa parole sera certainement décalée par rapport à son époque, puisqu’elle est celle… de l’Éternel !
Le prophète n’a pas pour mission de dire ce qu’il pense, mais ce que Dieu lui demande, en conformité avec la Parole de Dieu, qui ne passe pas. Jésus lui-même a agi ainsi envers son Père : « Mon enseignement n’est pas de moi, mais de Celui qui m’a envoyé. (...) Si quelqu’un parle de sa propre initiative, il cherche sa gloire personnelle ; mais si quelqu’un cherche la gloire de celui qui l’a envoyé, celui-là est vrai et il n’y a pas d’imposture en lui » (Jn 7, 16. 18).
Oui, être prophète est un métier dangereux. Cela tombe bien, aujourd’hui où on cherche l’aventure ! Quelle aventure plus belle, plus dangereuse – mais aussi, paradoxalement, plus sûre – que de se mettre au service de Dieu pour transmettre sa parole ? Dieu nous prévient, et met le prophète face au réalisme de la mission : il aura des oppositions, des contradictions, des persécutions.
Mais cette opposition, si elle est fois éprouvante, est aussi rassurante ! Car Jésus lui-même a été « signe de contradiction ». Évidemment, on ne recherche pas cette contradiction pour elle-même, mais elle est assez inévitable : « Ce ne sont pas les chrétiens qui s'opposent au monde. C'est le monde qui s'oppose à eux quand est proclamée la vérité sur Dieu, sur le Christ, sur l'homme. Le monde se révolte quand le péché et la grâce sont appelés par leur nom. (…) Il est temps de retrouver le courage de l'anticonformisme, la capacité de s'opposer, de dénoncer bien des tendances de la culture ambiante… » [Joseph RATZINGER, Entretien sur la foi, Fayard, 1985, page 39] Ainsi, ce décalage entre le monde et l’Église ne doit pas faire peur, il est normal. C’est plutôt s’il n’existe pas que l’on doit s’interroger pour savoir si l’on est vraiment fidèle à la Parole de Dieu. Ce que nous devons dire, c’est : « Ainsi parle le Seigneur Dieu… » Nous devons dire ce que Dieu veut. Non pas ce que nous voulons, ni ce que les gens voudraient entendre. Et cela, « qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas. »
Être en décalage par rapport au monde n’est pas un danger pour l’Église, car elle n’est pas du monde, comme Jésus n’est pas du monde. Le plus grand danger qui menace l’Église, c’est, au contraire, d’être contaminée par l’esprit du monde. Le cardinal de Lubac écrivait : « Quand le monde pénètre à l'intérieur de l'Église, il y est pire que le monde tout court. Il n'a, de celui-ci, ni la grandeur dans l'éclat illusoire, ni cette espèce de loyauté dans le mensonge, la méchanceté et l'envie, reconnus d'avance comme sa loi. Quand le monde ecclésiastique est monde, il n'est du monde que la caricature. C'est le monde, non seulement en plus médiocre, mais encore en plus laid." [Henri de LUBAC, Paradoxes ; suivi de Nouveaux paradoxes, Éditions du Seuil, 1959, pages 180-181].
Ainsi, les passages de la Parole de Dieu entendus ce dimanche doivent nous éclairer. Nous entrons dans le temps de l’été, temps de vacances, temps de mission. Nous allons être amenés à faire davantage de rencontres : membres de nos familles, amis, personnes inconnues… « C’est à eux que je t’envoie. » Pour être, auprès de ces personnes, ce que Dieu veut que nous soyons, nous devons passer du temps avec Dieu, dans la prière. Ce temps d’été et de vacances est idéal pour cela. Nous puiserons près du Cœur de Jésus sa bienveillance pour les personnes auxquelles il nous envoie. Avec la Vierge Marie, adorons-le dans son Saint Sacrement. Et si nous nous sentons faibles pour être les prophètes qu’il attend, écoutons-le nous dire : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. »