Éloge du temps ordinaire !
Homélie pour le 2ème Dimanche du Temps Ordinaire
Dimanche 15 janvier 2023
Éloge du temps ordinaire !
S’il fallait donner un titre à cette homélie, nous l’intitulerions : « éloge du temps ordinaire » ! En effet, après ce temps de Noël, si beau et si touchant, nous voici à nouveau dans le temps liturgique que l’Église, dans sa sagesse, appelle très justement le temps ordinaire.
Nous sommes dans un monde qui n’aime pas beaucoup l’ordinaire, et qui est plutôt en recherche continuelle d’extraordinaire. On passe d’une fête à une autre, on crée et on multiplie des « événements ». Dans l’Église aussi on peut être tenté par cette approche « événementielle » : on vit des temps forts, passant d’un « temps fort » à un autre… Mais un feu risque de s’épuiser vite, si l’on ne fait pas très régulièrement, après l’avoir allumé, les gestes répétitifs nécessaires pour l’alimenter. Nous aussi, nous pouvons être tentés de nous laisser ce feu intérieur s’assoupir par la routine qui semble accompagner ce temps apparemment moins marquant.
Et pourtant… Le temps ordinaire est celui de la vie normale, du temps long, de la croissance… L’homme – comme la nature dont il fait partie – ne grandit pas par à-coups, mais lentement, au jour le jour, et au long des jours ordinaires, à travers des actes répétitifs et banals : se nourrir, respirer, se fortifier…On ne peut pas vivre seulement de fêtes ! Mais il faut, après des temps de fête, beaux et légitimes, de longs moments de temps ordinaire, où il ne se passe rien (du moins en apparence), afin que ce qui a été reçu s’enracine, grandisse, s’épanouisse lentement et solidement. La couleur verte de ce temps est celle justement de la nature, de la croissance. Le vert est aussi la couleur de l’espérance qui est précisément la vertu du temps long.
Ainsi, le temps ordinaire est un temps très beau, et très important, sans lequel les solennités, les fêtes et les temps privilégiés de l’année risquent de rester stériles. Profitons-en donc avec joie, en nous nourrissant de la simplicité et de la régularité de la prière et de la liturgie. On dit que les gestes répétitifs des métiers anciens et liés à la terre, les gestes ancestraux du semeur et du laboureur, comme ceux de la couturière, creusaient les personnalités et donnaient aux hommes et aux femmes une sagesse, une solidité, un équilibre, une stabilité que notre époque a en partie perdus. Qu’en ce temps ordinaire, la redécouverte de la beauté et de l’offrande de nos gestes répétitifs et de nos prières habituelles forge en nous des âmes solides et des personnalités fortes pour résister aux puissants courants opposés et aux vents contraires.
Nous avons dans l’évangile de ce jour un modèle en la personne de saint Jean-Baptiste. Depuis le temps de l’Avent, nous ne l’avons pas vraiment quitté. Jean-Baptiste s’est formé au désert – quoi de plus aride et de plus routinier ? Mais il est ainsi passé – quoique certainement avec des grâces très spéciales liées à sa mission – par le temps long, très long du désert… Là il s’est familiarisé à l’avance avec ce serviteur annoncé par Isaïe, et auquel il allait avoir la mission de préparer les chemins, en le désignant au peuple : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. »
Maintenant qu’il a révélé au peuple la mission et l’identité de cet Agneau venu prendre sur lui les péchés du monde, il va désormais s’effacer et laisser place à Jésus. Sa joie est pure : « Il faut qu’il grandisse et que je diminue. » Saint Jean-Baptiste veut nous faire passer, comme lui, du « Je ne le connaissais pas » à cette certitude de foi : « C’est lui le Fils de Dieu. » Il veut nous faire devenir, comme lui, des amis de l’Époux. Mais pour grandir, l’amitié a besoin de temps. De ce temps long, fait de moments forts, mais aussi de beaucoup de moments ordinaires, vécus ensemble. Ainsi, le temps ordinaire est celui où l’amitié avec Jésus, l’Époux, se fortifie. On ne devient pas amis en quelques instants, ni lors d’une simple rencontre. L’amitié peut naître très vite, certainement. Mais il faut ensuite qu’elle se forge et s’enracine. Il en va de même de notre amitié avec Jésus, de notre sainteté.
En 2011, Benoît XVI avait choisi comme thème des Journées mondiales de la jeunesse de Madrid cette expression de saint Paul aux Colossiens : « Enracinés et fondés dans le Christ, affermis dans la foi » (Col 2,7). Dans son testament spirituel, il nous exhortait encore : « Tenez bon dans la foi, ne vous laissez pas troubler ! » C’est la grâce que nous pourrions demander au début de ce temps ordinaire : celle d’un enracinement solide, fruit d’une fidélité quotidienne. De l’enracinement dépend la solidité. Or l’enracinement est laborieux et progressif.
Notre modèle est la Vierge Marie, qui a vécu la plus grande partie de ses jours comme un temps ordinaire, répétant sans cesse et de tout son cœur : « Voici la servante du Seigneur, que tout m’advienne selon ta parole. » Comme elle et à sa suite, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus avait bien compris l’importance de l’ordinaire, et la nécessité de le remplir d’un amour intense. Faisons avec elle, en ce début d’année, le choix qu’elle avait fait : « J’ai choisi l’amour du Seigneur en chaque chose ordinaire. Alors je mettrai tant de cœur à les rendre extraordinaires. »