Merveilleuse simplicité de l'Amour
Homélie pour le 30ème Dimanche du Temps Ordinaire A
Dimanche 29 octobre 2023
La simplicité de Jésus pour guérir de notre duplicité
S’il est un point sur lequel nous sommes tous prêts à nous accorder, c’est que le monde dans lequel nous vivons est devenu un monde bien compliqué et dans lequel tout ce qui nous paraissait simple ou allant de soi semble avoir bel et bien disparu.
Dans ce monde compliqué, les chrétiens conservent cependant un privilège : celui de pouvoir côtoyer Jésus dont la simplicité est peut-être l’une des plus belles qualités. En effet, alors que nous faisons sans cesse l’expérience éprouvante que « le cœur de l’homme est compliqué et malade » (Jr 17, 9), Jésus, quant à lui, nous apparaît simple comme Dieu seul est simple : simple dans ses paroles, simple dans son attitude, simple d’intention et de cœur.
Dans l’Evangile de ce dimanche, cette simplicité de Jésus contraste avec la duplicité des Pharisiens. Comme dimanche dernier, le Seigneur est en but aux Pharisiens qui cherchent à le prendre au piège. Les Pharisiens, dit Jésus, sont des « hypocrites » (Mt 23, 13) au cœur compliqué et à la parole double. Cette fois-ci, ils ne remettent plus en question son rapport à César et au pouvoir politique mais son rapport à Moïse et à la loi : « Quel est, à ton avis, le plus grand des commandements ? » lui demandent-ils.
La question n’était pas simple : en effet, comment déterminer parmi les 617 commandements et interdictions contenues dans la Bible et dans la tradition juive lequel l’emportait sur les autres ? La question divisait les meilleurs spécialistes.
D’une remarquable profondeur, la réponse que donne Jésus à cette question est aussi d’une merveilleuse simplicité. Car en rappelant la prééminence de l’amour sur tous les commandements, Jésus rappelait tout simplement ce que nous pouvons lire à chaque page de la Bible. Être uni à Dieu, rappelle Jésus, c’est l’aimer et aimer son prochain ; ainsi, la multitude des préceptes de la loi juive s’unifie tout simplement dans les deux commandements de l’amour de Dieu et du prochain.
Aux Pharisiens qui avaient fait de l’union à Dieu une chose bien compliquée, Jésus oppose donc la simplicité de l’amour. Les 10 commandements n’ont de valeur que parce qu’ils nous permettent d’aimer en vérité. Les préceptes de la loi sont unifiés par l’amour ; ils sont comme les bornes miliaires du chemin de l’amour. Ils donnent à l’amour sa forme véritable.
Dans sa simplicité, la réponse de Jésus aux pharisiens nous semble aller de soi. Pour tout dire, nous nous étonnons que des hommes comme les pharisiens aient pu se poser une telle question. Comment ces spécialistes de la Bible ont-ils pu passer à côté de son message central ? Comment ces membres du Peuple élu ont-ils ignorer la clé de voûte de la Révélation ?
De fait, l’Histoire de l’Eglise nous oblige à ne pas condamner trop vite le cœur des Pharisiens. Car nous aussi, chrétiens, avons bien souvent reproduit le péché des pharisiens en compliquant la vérité de l’Evangile.
L’histoire de l’Eglise a été en effet jalonnée de périodes où, comme les pharisiens, nous nous sommes détournés de la simplicité de l’Evangile qui nous paraissait alors trop exigeante, trop radicale ; nous avons alors préféré nos traditions humaines compliquées, nos préceptes, nos « valeurs », aux commandements de l’amour de Dieu et du prochain.
Et pour nous faire revenir à la simplicité de l’Evangile, le Seigneur a alors suscité parmi nous des saints. Des saints qui, par leur vie et leurs paroles, nous ont rappelé que, pour Dieu, « il suffit d’aimer » comme le disait sainte Bernadette.
En entendant Jésus nous rappeler en ce dimanche le cœur de la loi, nous sommes donc invités à simplifier notre cœur, à redécouvrir la simplicité de notre foi, comme les Pharisiens de l’Evangile. À comprendre avec Mère Marie-Augusta qu’« une seule chose est nécessaire : c’est aimer ». Bien qu’exigeante, notre foi est très simple : être chrétien, c’est accepter d’être aimé par Dieu. Et c’est l’aimer en retour d’un cœur sans partage, en le servant, et en servant nos frères.
En revenant à la simplicité de l’Evangile, l’homme retrouve le sens des priorités. Car c’est l’amour qui donne du sens et du poids à ce que nous faisons. Ainsi le bienheureux Edouard Poppe aimait dire que « Dieu ne regarde pas tant ce que nous faisons, mais comment nous le faisons ». Les spirituels le disent d’ailleurs d’une seule voix : « L’homme vaut, non par ce qu’il dit ou par ce qu’il fait, mais par ce qu’il est. Dieu ne compte pas nos actions, Il les pèse » (G. Belorgey).
À la suite des saints, saint Thomas d’Aquin s’est lui aussi enthousiasmé pour le double commandement de l’amour. Dans l’un de ses commentaires, il cherche à comprendre pourquoi Jésus, à la suite du Deutéronome, précise qu’il faut aimer « de tout son cœur, de toute son âme, de toute son intelligence et de toute sa force ».
En soulignant qu’il nous faut aimer de tout notre « cœur », Jésus semble vouloir nous dire que nous n’aimons vraiment que lorsque notre intention est pure, que lorsque nous agissons pour Dieu et pour le prochain, et non pour un motif plus ou moins honnête.
Il est vrai qu’avec une intention pure, une action apparemment insignifiante en elle-même peut acquérir une grande valeur. Saint Paul ne dit-il pas aux Corinthiens : « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu » (1 Co 10, 31) ? Ainsi, pour saint Paul, même manger ou boire peuvent devenir des actes d’amour si nous les accomplissons pour Dieu et avec Lui. Il y a là une importante leçon de vie spirituelle : veiller à la pureté de ses intentions en se rappelant régulièrement pourquoi et pour qui nous agissons est un moyen privilégié pour croître en amour.
Mais les bonnes intentions ne suffisent pas pour aimer. Et c’est pourquoi le Seigneur ajoute qu’il nous faut aimer de toute notre « âme », c’est-à-dire avec une volonté droite. Il n’est pas d’amour de Dieu et du prochain si notre volonté se porte sur le mal, c’est-à-dire sur une action que Dieu réprouve. L’amour, c’est unir sa volonté à celle de celui que l’on aime. Aimer Dieu suppose d’unir notre volonté à la sienne, et donc d’accepter ce qu’Il veut pour nous, même si nous ne comprenons pas pourquoi Il le veut.
Enfin, l’amour ne supporte pas de demi-mesure, et c’est peut-être pourquoi Jésus nous dit qu’il nous faut aimer de toute notre intelligence et de toute notre force. L’intelligence elle-même peut servir l’amour si elle nous rappelle les bienfaits de Dieu. L’intelligence qui médite sur la bonté de Dieu, sur ce qu’Il a fait pour nous, peut enflammer en nous l’amour plein de force. En effet, comment ne pas aimer de toutes ses forces si nous vivons continuellement en présence de celui qui nous aime tant ?
Aussi, alors que nous préparons à vivre la fête de la Toussaint, demandons à Jésus un cœur simple comme le sien. « L’amour rend simple » disait Mère Marie-Augusta. Qu’à la suite de saints, nous trouvions notre joie à aimer Jésus et les autres d’un cœur sans partage. Tout simplement.