Nous ne pouvons pas nous taire !
Homélie pour la solennité de Pentecôte - Année C
Dimanche 8 juin 2025
Les voici « remplis d’Esprit-Saint »
Lorsqu’on est au cinéma, que l’on a vu un très beau film, et qu’on voit s’afficher sur l’écran le mot « fin », on éprouve toujours une petite tristesse : c’est déjà fini ! Aujourd’hui, c’est la « fin » du temps pascal. En effet, cette fête de la Pentecôte vient clore le temps pascal. Pourtant nous ne sommes pas tristes – bien au contraire. Car en réalité, il ne s’agit pas d’une fin chronologique, comme il en va d’un moment fugitif et désormais révolu. Il s’agit d’un accomplissement. Donc d’un événement qui non seulement ne cesse pas, mais qui reçoit comme un couronnement, pour se poursuivre.
Déjà dans l’ancien testament, la fête de la Pentecôte était l’accomplissement de la Pâque. Car la Pâque était la libération de l’esclavage : l’esclavage en Égypte, qui durait depuis plus de quatre cents ans pour le peuple de Dieu. Lors de la Pâque, le peuple hébreu est passé à travers les eaux, tandis que l’armée égyptienne a été engloutie : c’est la libération de la servitude du mal et du péché. Et cinquante jours plus tard, Dieu donnait à son peuple la loi, sur le mont Sinaï. Ce don portait à son accomplissement la libération du peuple en en faisant le peuple de Dieu, un peuple libéré non pas seulement de l’Égypte, mais libéré par la loi de Dieu, loi de liberté.
Car la sortie géographique de l’Égypte n’était pas suffisante. Oui, le peuple était libéré de l’esclavage extérieur de l’Égypte. Mais si c’était pour continuer à vivre ailleurs en esclaves, intérieurement soumis au péché, ce n’était pas une vraie libération. Aussi, en donnant aux Hébreux sa loi le cinquantième jour, Dieu venait accomplir cette première libération en leur permettant de vivre libres à partir de l’intérieur. De même, la résurrection de Jésus ne serait pas suffisante, si elle n’était qu’une réalité historique extérieure, si elle ne passait pas dans nos vies, si nous n’en vivons pas à partir de l’intérieur. Car elle ne nous libérerait pas réellement. Aujourd’hui, l’Esprit-Saint nous est donné pour cela. Il accomplit ainsi, en la faisant passer en nous, la libération obtenue il y a cinquante jours, par la résurrection de Notre Seigneur.
Déjà dans l’ancien testament, parce que le don de la loi avait eu lieu cinquante jours après la Pâque, on célébrait cet événement dans le peuple juif sous le nom de Pentecôte – mot qui signifie « cinquante » en grec. Or cette fête, qui était un accomplissement, ne marquait pas une fin au sens chronologique : car si la libération du pays d’Égypte était réalisée, et si le peuple était désormais doté, grâce à la loi, de tous les moyens pour être libre, il lui restait désormais à traverser le désert pour aller prendre possession de la terre promise. Aujourd’hui, nous en sommes là ! La fête de Pâques trouve aujourd’hui son accomplissement avec le don de l’Esprit-Saint. Il faut donc désormais qu’avec ce don qui nous est fait aujourd’hui, la résurrection passe dans nos vies pour que nous marchions vers la terre promise – vers le Ciel.
C’est précisément ce qu’ont vécu en ce jour les apôtres. Il y a cinquante jours, ils ont vécu la résurrection de Jésus. Aujourd’hui l’Esprit-Saint les libère, les ressuscite à leur tour, en quelque sorte. Rappelons-nous : il y a cinquante jours, nous étions dans le même lieu, le Cénacle. Nous étions, aussi, le premier jour de la semaine. Nous étions avec les mêmes personnes… Les mêmes personnes, vraiment ? Ils ont en effet les mêmes noms : Pierre, Jacques, Jean, André, etc. Mais sont-ils vraiment les mêmes ? Car nous les voyons radicalement transformés. Ceux qui étaient dans le Cénacle, dont les portes « étaient verrouillées par crainte des Juifs » (Jn 20, 19), les voici « remplis d’Esprit-Saint », et proclamant dans toutes les langues les merveilles de Dieu. Ainsi, il y a cinquante jours, c’était la résurrection de Jésus. Aujourd’hui, c’est celle des disciples. Donc aujourd’hui, c’est la nôtre, selon la promesse de Jésus : l’Esprit-Saint « recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. » (Jn 16, 14). Ainsi, la force de la résurrection de Jésus nous est donnée aujourd’hui pour que nous en vivions nous-mêmes, et pour que nous en témoignions.
Nous avons chanté comme séquence une très belle hymne, que des traditions attribuent à un roi de France, Robert le pieux, fils d’Hugues Capet, qui régnait en l’an mille. Cette hymne millénaire nous montre les effets de cette résurrection en nous, par la force transformante de l’Esprit-Saint qui ressuscite aujourd’hui les âmes des apôtres, et les nôtres : en venant remplir jusqu’à l’intime le cœur des fidèles, il est repos dans le labeur, fraîcheur dans la fièvre, réconfort dans les pleurs. Il lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guérit ce qui est blessé. Il assouplit ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rend droit ce qui est faussé. Oui, l’Esprit nous fait vivre, comme le dit saint Paul, car il est l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts.
Jésus nous avait promis : « Vous allez recevoir une force. » Et cette force, ce Défenseur, nous dit-il encore dans l’évangile, « sera pour toujours avec vous ». Or cette force est donnée en ce jour sous forme de langues, pour parler. Car, comme le diront très bientôt les apôtres lors des premières persécutions : « Nous ne pouvons pas nous taire » (Ac 4, 20). L’Esprit-Saint nous libère aujourd’hui de l’esclavage qu’est la peur. Et il nous ordonne de parler. Notre Église – en particulier en France et en Allemagne – a besoin de jeunes chrétiens qui parlent, au service de la vie, au service de la vérité, au service du bel amour. Nous ne pouvons pas nous taire. Que la Vierge Marie nous accompagne dans cette mission qui commence aujourd’hui avec une force nouvelle. Reine des apôtres, Mère de l’Église, priez pour nous.