Ne nous laissons pas détourner de notre mission !
Homélie pour le 1er dimanche de Carême - Année C
Dimanche 9 mars 2025
Notre Seigneur se retire au désert pour se préparer à sa mission de Sauveur et affronter pour nous le Tentateur
Nous voici entrés dans le temps du Carême, et retirés dans le désert avec Jésus. Pendant ces quarante jours qui vont nous conduire à Pâques, nous voulons, avec une ferveur particulière, fixer les yeux sur Jésus, Notre Seigneur, au moment où il se retire au désert pour se préparer à sa mission de Sauveur du monde. Pour cela, il va affronter le Tentateur, Satan, l’Adversaire. Et celui-ci va tout faire pour détourner Jésus de sa mission de salut.
L’Évangile nous rapporte trois tentations, qui sont en quelque sorte un condensé de toutes les autres. Car l’évangile de ce jour s’achève par cette phrase effrayante : « Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé. » Ce moment fixé est la Passion, où Jésus accomplira notre salut. Si le Diable a tenté de détourner Jésus de sa mission, il continue à agir ainsi aujourd’hui, envers l’Église, et envers nous. Voyons alors comment il s’y est pris, afin de résister nous aussi à la suite de Jésus, et ne pas nous laisser détourner de notre mission.
Satan suggère d’abord à Jésus de changer des pierres en pain, pour apaiser sa faim. Ce faisant, il veut détourner Jésus de sa mission qui est d’abord spirituelle. Bien sûr, donner du pain, lutter contre la faim, ne sont aucunement des actions condamnables, bien au contraire. Mais ce n’est pas la mission première de Jésus – ni de l’Église. Le Démon cherche en fait à inverser les priorités : le matériel d’abord, et le spirituel après. Or Jésus est clair : « L’homme ne vit pas seulement de pain. » Et il dira ailleurs : « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît » (Mt 6, 33).
Puis Satan montre à Jésus tous les royaumes de la terre, les présentant comme lui appartenant. Là encore, le Démon mêle le mensonge à la vérité. Il est vrai qu’il a un pouvoir sur le monde, dans la mesure où nous le laissons prendre du pouvoir en nous et autour de nous – Jésus l’appelle d’ailleurs « le Prince de ce monde » (Jn 12, 31 et 16, 11). Mais il faut nous méfier de ce que Benoît XVI appelait les « demi-vérités du diable ».[1]
Enfin, Satan propose à Jésus d’accomplir une action d’éclat. Pour l’y inciter, il cite la bible… Oui, Satan est capable de citer la Parole de Dieu pour détourner la mission à son profit !
Réfléchissons sur ces tentations, pour aiguiser notre regard et notre discernement sur l’action du Tentateur aujourd’hui.
Il est significatif que celui-ci ne propose pas nécessairement des choses mauvaises. Satan peut même suggérer des choses bonnes (comme donner du pain), pour nous détourner de l’essentiel. Dans son livre Jésus de Nazareth, Benoît XVI souligne ce danger, précisément en commentant les tentations de Jésus au désert. Il écrit : « Le tentateur est bien trop malin pour nous proposer directement d’adorer le diable. Il nous propose seulement de nous consacrer à ce qui est raisonnable, à donner la priorité à un monde planifié et organisé, dans lequel Dieu peut avoir une place dans le domaine privé, mais ne doit pas interférer avec nos projets essentiels. Soloviev attribue un livre à l’Antéchrist, Un chemin ouvert vers la paix et le bien-être du monde, qui devient pour ainsi dire la nouvelle Bible et consiste pour l’essentiel à adorer le bien-être et la planification rationnelle. »[2]
En effet, l’Antichrist ressemblera au Christ – ou plutôt il fera croire qu’il lui ressemble, en proposant des œuvres bonnes, mais en nous détournant de l’essentiel : l’adoration du seul vrai Dieu pour le salut des âmes. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas accomplir d’œuvres bonnes, ni que l’Église doive se désengager des réalités terrestres. D’ailleurs Jésus, qui refuse aujourd’hui de transformer les pierres en pain, multipliera les pains plus tard. Mais cette action était alors très différente : d’une part elle avait pour but de soutenir les corps de ceux qui étaient venus de loin écouter Jésus pendant plusieurs jours, et se nourrir de sa parole ; d’autre part, Jésus va précisément leur signifier que ce miracle qu’il a accompli n’est que le signe d’un don plus grand qu’il va leur faire pour les nourrir véritablement : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde » (Jn 6, 51). Ainsi, la mission de l’Église, comme celle de Jésus, est au service des âmes, pour leur salut éternel. Ce qu’elle accomplit au service des hommes ne doit l’être que dans ce but : leur montrer Jésus-Christ, seul Sauveur, Fils unique de Dieu fait homme pour nous sauver.
Voilà pourquoi l’oraison de ce premier dimanche de carême – qu’on aurait pu imaginer centrée sur le partage ou sur les œuvres – demande simplement l’essentiel : « Dieu tout puissant, toi qui nous invites à vivre chaque année le carême en vérité, donne-nous de progresser dans l’intelligence du mystère du Christ, et d’en rechercher la réalisation par une vie qui lui corresponde. » Ainsi, le temps du carême ne peut pas être comparé au ramadan, puisqu’il est un temps où l’essentiel est de se recentrer sur Jésus-Christ, Notre Seigneur. Tout le reste est au service de ce mystère de salut, résumé ainsi par saint Paul : « En effet, si de ta bouche, tu affirmes que Jésus est Seigneur, si, dans ton cœur, tu crois que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé. » Que la Vierge Marie nous accompagne sur ce chemin avec Jésus, « jusqu’au moment fixé. »
[1] BENOÎT XVI, Notes sur les racines des abus, 11 avril 2019
[2] Joseph RATZINGER-BENOÎT XVI, Jésus de Nazareth ; la figure et le message, Opera omnia, vol. VI, tome 1, Parole et Silence, 2014, page 149