Comment en est-on arrivé à la Croix ?
Homélie pour le Vendredi Saint
Vendredi 29 mars 2024
Dans l’amour nous rendrons témoignage à la vérité ; et dans la vérité, nous aimerons.
Nous voici devant la Croix où vient de mourir Jésus, Notre Seigneur. Le Fils de Dieu est mort. L’innocent a été condamné. Et par des coupables. Comment en est-on arrivé à la Croix ?
Nous avons entendu ces derniers jours dans les textes de la Parole de Dieu cette tension croissante entre Jésus et ses ennemis. Car Jésus a eu des ennemis. Sa parole était trop pure, trop lumineuse, trop vraie. Elle gênait. « La lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises » (Jn 3, 19). Jésus lui-même a donné le sens de la Croix il y a quelques heures, devant Pilate : « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité » (Jn 18, 37). Ses ennemis n’ont pas supporté ce témoignage rendu à la vérité.
Mais qui sont ces ennemis de Jésus ? Et pourquoi étaient-ils ses ennemis ?
Jésus est venu rassembler le peuple de Dieu, et le refonder. Or les pharisiens n’acceptent pas les exigences de Jésus pour son peuple. Car ils donnaient l’illusion d’une fidélité à la loi, mais Jésus les avait mis devant leurs péchés et leurs contradictions, et avait sévèrement dénoncé leurs compromissions : « C’est en raison de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de renvoyer vos femmes. Mais au commencement, il n’en était pas ainsi » (Mt 19, 8). Ou encore : « Vous rejetez le commandement de Dieu pour établir votre tradition. (…) Vous annulez la parole de Dieu par la tradition que vous transmettez » (Cf. Mc 7, 9.13). Ou encore : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis à la chaux : à l’extérieur ils ont une belle apparence, mais l’intérieur est rempli d’ossements et de toutes sortes de choses impures » (Mt 23, 27).
Ainsi, les pharisiens ne veulent pas de ce peuple tel que Dieu, lui, le veut. Ils veulent une religion à leur mesure. Ils veulent un peuple de Dieu selon leur pensée, selon leurs idées. C’est pourquoi ils sont ennemis de Jésus. Pourtant, Jésus les a aimés, en leur disant la vérité. Il n’a pas changé ni adapté sa parole. Voilà pourquoi il est maintenant sur la Croix, condamné par les chefs du peuple de Dieu – par les chefs de son peuple. Ceux-ci n’en sont plus à une contradiction près. Après avoir reproché à Jésus d’être l’ami des publicains, qui collaboraient avec Rome et l’empereur, ils font condamner Jésus en l’accusant d’être ennemi de l’empereur. Et ils proclament sans vergogne leur lamentable soumission aux puissants de ce monde : « Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur » (Jn 19, 15).
Cette tentation d’établir un peuple à notre mesure, tel que nous le voulons, traverse l’histoire. Aujourd’hui encore, la tentation existe de construire une autre Église que celle voulue par Jésus. Jean-Paul II avait mis en garde : « Nous sommes aujourd'hui devant la lutte finale entre l'Église et l'anti-Église, entre l'Évangile et l'anti-Évangile, entre le Christ et l'anti-Christ. Cette confrontation fait partie des desseins de la Providence divine. Elle est donc dans le plan de Dieu et est probablement une épreuve que l’Église doit accepter et affronter courageusement. » [Cité par le Cardinal Robert Sarah, Le soir approche et déjà le jour baisse, p. 170-171] En effet, nous assistons à des tentatives d’édifier une nouvelle Église, soi-disant plus humaine, plus inclusive. Benoît XVI écrivait : « L'idée d’une Église meilleure, que nous créerions nous-mêmes, est en réalité une suggestion du diable, par laquelle il cherche à nous éloigner du Dieu vivant, au moyen d'une logique trompeuse par laquelle nous nous laissons trop facilement duper. » [Benoît XVI, Notes sur les racines des abus, 11 avril 2019]
Si le diable a suscité des oppositions contre Jésus, il ne faut pas s’étonner qu’il continue à en susciter aujourd’hui contre l’Église. Ces oppositions viennent des ennemis de l’Église, mais aussi de l’intérieur. En ce Jeudi et ce Vendredi saints, Judas, l’un des Douze, trahit Jésus, alors même que Jésus l’avait averti ; Pierre, le chef des apôtres, renie Jésus, alors même que Jésus avait prié pour lui, pour que sa foi ne défaille pas ; les autres apôtres abandonnent Jésus…
L’Église revit aujourd’hui le Vendredi saint. Elle est affrontée à des tempêtes et à des ennemis de toutes sortes. Que ferons-nous ? Nous ferons comme Jésus : nous aimerons. Car, selon la belle expression de Mère Marie-Augusta, l’apostolat de l’amour est irrésistible. Comme le disait Paul VI : « Nous aimerons nos amis, nous aimerons nos ennemis. (…) Nous aimerons ceux qui se moquent de nous et nous persécutent. Nous aimerons ceux qui nous méprisent, ceux qui s’opposent à nous, ceux qui méritent d’être aimés et ceux qui ne le méritent pas. (…) Nous aimerons avec le cœur du Christ, nous aimerons avec la plénitude de Dieu. » [Mgr Montini, octobre 1957, dans la Documentation catholique, tome LIV, col. 1619-1636]
Et c’est justement en raison de cet amour que nous devons et que nous devrons toujours, comme Jésus, rendre témoignage à la vérité. Benoît XVI écrivait : « Là où [l’amour et la vérité] existent ensemble apparaît la Croix. » [Joseph Ratzinger, Dogme et annonce, Parole et Silence, 2005, p. 102] Cette parole s’accomplit devant nous et pour nous en ce Vendredi saint.
En ce jour de sa souffrance et de sa victoire, au pied de la Croix de notre Sauveur et auprès de la Vierge Marie, nous voulons répondre à l’appel de Jésus à être son Église fidèle. Ainsi, par sa grâce, et bien conscients que nous rencontrerons la Croix, nous agirons comme lui et à sa suite : dans l’amour nous rendrons témoignage à la vérité ; et dans la vérité, nous aimerons.