Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés

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En parcourant l’Ecriture… La prière du Notre Père (6/8)

Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés…

Nous lisons dans le catéchisme de l’Eglise Catholique :

"Dans une confiance audacieuse, nous avons commencé à prier notre Père. En le suppliant que son Nom soit sanctifié, nous lui avons demandé d’être toujours plus sanctifiés. Mais, bien que revêtus de la robe baptismale, nous ne cessons de pécher, de nous détourner de Dieu. Maintenant, dans cette nouvelle demande, nous revenons à lui, comme l’enfant prodigue (cf. Lc 15, 11-32), et nous nous reconnaissons pécheurs, devant lui, comme le publicain (cf. Lc 18, 13). Notre demande commence par une  » confession  » où nous confessons en même temps notre misère et sa Miséricorde. Notre espérance est ferme, puisque, dans son Fils, ‘’nous avons la rédemption, la rémission de nos péchés’’ (Col 1, 14 ; Ep 1, 7). Le signe efficace et indubitable de son pardon, nous le trouvons dans les sacrements de son Église (cf. Mt 26, 28 ; Jn 20, 23)". [CEC n°2839 ]

"Or, et c’est redoutable, ce flot de miséricorde ne peut pénétrer notre cœur tant que nous n’avons pas pardonné à ceux qui nous ont offensés. L’Amour, comme le Corps du Christ, est indivisible : nous ne pouvons pas aimer le Dieu que nous ne voyons pas si nous n’aimons pas le frère, la sœur, que nous voyons (cf. 1 Jn 4, 20). Dans le refus de pardonner à nos frères et sœurs, notre cœur se referme, sa dureté le rend imperméable à l’amour miséricordieux du Père ; dans la confession de notre péché, notre cœur est ouvert à sa grâce." [CEC n°2840 ]

Il est bon d’approfondir cette demande, pour la prier avec plus de ferveur et, ainsi être de plus en plus "Miséricordieux comme le Père". Rappelons-le : c’était la devise de l’année de la Miséricorde ! Le thème du pardon traverse tout l’Évangile : au début du sermon sur la montagne, jusqu’à la Croix !

Avec la cinquième demande du Notre Père, nous sommes au cœur du message évangélique : l’accueil du pardon, et de la miséricorde. Si ce verset ne pose pas de problème sur le fond, nombreux sont cependant les exégètes qui réagissent négativement sur la terminologie choisie par la traduction liturgique.

En effet, saint Matthieu ne parle pas d’offenses, mais de pheilêmata, c’est-à-dire de dettes. La version latine du Notre Père est restée fidèle à la version matthéenne (qui est probablement la forme primitive) en parlant de « debita ». (cf. la parabole du débiteur impitoyable : 10000 talents=60 millions de pièces d’argent contre 100 pièces d’argent)

Pour sa part, saint Luc demande le pardon des amartias – latin : peccata – c’est-à-dire des péchés, qui sont implicitement présentés comme autant de dettes envers Dieu. De fait tout péché représente un manquement à l’obéissance qui Lui est due, et surtout à l’amour qu’en tant que fils reconnaissants, nous devrions témoigner à notre Père. Toute faute entre les hommes comporte d’une façon ou d’une autre une violation de la Vérité et de l’Amour, et s’oppose ainsi à Dieu, qui est la Vérité et l’Amour.

I – « Pardonne-nous nos offenses… »

« Demander le pardon, - écrivait Sainte Thérèse d’Avila -, c’est reconnaître notre faiblesse, notre péché, nos résistances à l’accueil de l’amour de Dieu, et ainsi nous ouvrir à la grâce. » En effet, le pardon n’est pas un dû : Jésus nous invite à pardonner sept fois par jour à notre frère s’il revient sept fois en disant : « Je me repens » (Lc 17,3). Cela vaut bien sûr aussi pour nous dans notre relation à Dieu : dans la parabole du débiteur impitoyable, le Maître précise : « Je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’en avais supplié. » (Mt 18,32).

Le Seigneur respecte notre liberté : par notre péché, nous avons délibérément rompu l’Alliance d’amour qu’Il nous avait gratuitement proposée ; aussi attend-Il de nous, pour nous restaurer dans son amitié, un nouvel acte de liberté par lequel nous lui demandons humblement pardon, et exprimons notre désir de revenir à Lui.

L’Amour Rédempteur étant infini en raison de la divinité de l’Agneau immolé, on ne peut poser de limite à l’Amour miséricordieux du Seigneur. Pourtant, la deuxième partie de la demande semble mettre une condition à l’accès au pardon de nos péchés :

II – « …comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés »

Comment concilier la gratuité de l’Amour Rédempteur, avec l’exigence de pardonner à notre tour pour pouvoir bénéficier de la miséricorde divine ?

Ce n’est pas le seul endroit où le Seigneur nous fait comprendre que nous ne pouvons pas obtenir le pardon de Dieu si nous ne faisons pas miséricorde à ceux qui nous ont fait du tort : le serviteur de la parabole, qui après avoir été libéré d’une dette insolvable, n’a pas eu pitié de son compagnon, se voit obligé de rembourser tout ce qu’il devait à son Maître. Parce qu’il n’a pas agi comme ce dernier et n’a pas su faire grâce, il a lui-même perdu le pardon déjà acquis : « C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur » (Mt 18,35).

Ajoutons que notre verset est la seule demande sur laquelle le Seigneur revient avec insistance, après avoir formulé l’ensemble du Notre Père : « Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi. Mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne pardonnera pas vos fautes » (Mt 6, 14-15). Lorsque Jésus précise qu’il faut pardonner « jusqu’à soixante-dix fois sept fois » par jour (Mt 18,22), cela signifie une fois toutes les trois minutes : autant dire que le pardon constitue la substance même de la vie quotidienne. « De la manière dont vous jugez, vous serez jugés ; de la mesure dont vous mesurez, on vous mesurera » (Mt 7,2).

En refusant de pardonner à notre prochain, ce n’est pas Dieu qui se détourne de nous et nous refuse sa miséricorde, mais nous-mêmes qui nous fermons à la grâce du pardon que Dieu nous destinait. Comme le dit Sainte Thérèse d’Avila : « Notre capacité à accueillir et à nous laisser transformer par la miséricorde divine, est conditionnée par notre manière de pardonner nous-mêmes à ceux qui nous ont fait du tort. En refusant de pardonner, notre cœur se rend imperméable à l’amour miséricordieux du Père ».

III – « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés »

Il faut cependant prévenir une mésinterprétation qui consisterait, en partant de ce qui précède, à faire du pardon des offenses qui nous sont infligées, la condition de notre salut. Saint Paul inverse clairement la pensée lorsqu’il nous exhorte : « Pardonnez-vous les uns aux autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ. » (Ep 4,32) ; et encore : « Pardonnez-vous mutuellement si vous avez des reproches à vous faire. Le Seigneur vous a pardonné : faites de même. » (Col 3,13). La priorité est incontestablement dans le pardon accordé par Dieu en son Fils Jésus-Christ. Nous sommes invités à nous montrer « miséricordieux comme notre Père est miséricordieux. » (cf. Lc 6,36).

On peut évoquer ici la représentation chinoise du Ciel et de l’enfer : dans les deux espaces, la table est richement dressée ; mais les convives de l’enfer cherchent en vain à se nourrir eux-mêmes : ils en sont incapables en raison de la longueur de leurs baguettes. Par contre les habitants du Ciel, parce qu’ils portent le souci des autres et cherchent avant tout à les nourrir, se trouvent à leur tour rassasiés par leurs frères leur offrant la réciproque. Pour les habitants du Ciel la longueur des baguettes ne pose aucun problème, bien au contraire : chacun est nourri par l’autre et tous puisent dans les dons de Dieu.

Le Catéchisme de l’Eglise catholique précise :

"La prière chrétienne va jusqu’au pardon des ennemis (cf. Mt 5, 43-44). Elle transfigure le disciple en le configurant à son Maître. Le pardon est un sommet de la prière chrétienne ; le don de la prière ne peut être reçu que dans un cœur accordé à la compassion divine. Le pardon témoigne aussi que, dans notre monde, l’amour est plus fort que le péché. Les martyrs, d’hier et d’aujourd’hui, portent ce témoignage de Jésus. Le pardon est la condition fondamentale de la Réconciliation (cf. 2 Co 5, 18-21), des enfants de Dieu avec leur Père et des hommes entre eux (cf. Jean-Paul II, DM 14)." [CEC n°2844]

"Il n’y a ni limite ni mesure à ce pardon essentiellement divin (cf. Mt 18, 21-22 ; Lc 17, 3-4). S’il s’agit d’offenses (de  » péchés » selon Lc 11, 4 ou de  » dettes  » selon Mt 6, 12), en fait nous sommes toujours débiteurs :  » N’ayez de dettes envers personne, sinon celle de l’amour mutuel  » (Rm 13, 8). La Communion de la Trinité Sainte est la source et le critère de la vérité de toute relation (cf. 1 Jn 3, 19-24). Elle est vécue dans la prière, surtout dans l’Eucharistie (cf. Mt 5, 23-24)." [CEC n°2845]

Dans Jésus de Nazareth, Benoît XVI écrit :  « Si nous voulons pleinement comprendre cette demande et la faire nôtre, nous devons faire un pas de plus et nous demander : qu’est véritablement le Pardon ? Qu’advient-il dans le Pardon ? La faute est une réalité, une réalité objective ; elle a causé une destruction qui doit être surmontée. C’est pourquoi le Pardon doit être plus qu’une volonté d’ignorer ou d’oublier. La faute doit être assumée, réparée et ainsi surmontée. Le pardon a un coût, et d’abord pour celui qui pardonne. Le mal qui lui a été fait, il doit le surmonter intérieurement, le brûler au-dedans de lui et ainsi se renouveler, de sorte qu’il fasse entrer l’autre, le coupable dans ce processus de transformation et de purification intérieures, que tous deux se renouvellent en souffrant le mal jusqu’au fond et en le surmontant. C’est là que nous butons sur le mystère de la Croix. Mais tout d’abord, nous butons sur les limites de notre force à guérir et à surmonter le mal. Nous butons sur la supériorité du mal, que nous ne pouvons vaincre avec nos seules forces. »

Hélas nous savons tous d’expérience que lorsque la blessure de l’offense est profonde, il n’est guère facile de pardonner. Sainte Thérèse d’Avila semble avoir éprouvé cette difficulté, ce qui lui permet de nous donner le remède : « Lorsque le préjudice est tel qu’il nous est humainement impossible de pardonner, fixons notre regard sur Jésus : Sur la croix, il prie pour ceux qui le font mourir : “Père pardonne-leur !” (Lc 23,34) “En sa personne, il a tué la haine” (Ep 2,16). Lui seul, par son Esprit peut nous donner la force de l’impossible. Le pardon reçu, le pardon donné est chemin de libération ».

Nous pourrons sans doute tirer profit de cette prière pleine de réalisme de Saint François d’Assise : « Lorsque par nous-mêmes nous n’y arrivons pas, toi Seigneur, donne-nous de pardonner pleinement ; si bien que par amour de toi, nous aimions vraiment nos ennemis  et intercédions dévotement pour eux auprès de toi, ne rendant à personne le mal pour le mal, et nous efforçant à être en toi source de joie pour tous. »

Terminons par un bel exemple d’audace procédant d’une sincère piété filiale, sous la plume de saint Grégoire de Nysse [Homélies sur le Notre Père] :

« Remets-nous nos dettes, comme nous aussi nous remettons à nos débiteurs.

Ce qui me vient à l’esprit là-dessus, est une idée aussi téméraire à concevoir en pensée qu’à exprimer en paroles. Qu’est-il dit en effet ?

Comme Dieu est le modèle proposé à l’imitation des gens qui veulent pratiquer le bien, Dieu aussi imitera nos actes quand nous ferons quelque chose de bien ; pour qu’ainsi tu puisses toi-même dire à Dieu : “Ce que j’ai fait, fais-le ! J’ai remis les dettes : n’exige rien, toi non plus ! J’ai respecté le suppliant : ne repousse pas, toi non plus, qui te supplie ! J’ai délié : délie ! J’ai remis : remets ! J’ai été plein de pitié pour mon semblable : imite la clémence de ton esclave, Seigneur ! ” »

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