Le cycliste Gino Bartali (2/2)
"Certaines médailles s'accrochent à l'âme, pas à la veste"
Un jour de 1943, le cardinal Elio Dalla Costa, l’archevêque de Florence qui avait marié Gino, lui demanda de l’aider à acheminer de précieux documents à vélo, dans un réseau organisé autour d’Assise par des religieux et des laïcs catholiques. Lui seul, en tant que célébrité internationale, pouvait jouer ce rôle singulier sans éveiller de soupçon. Il accepta sans hésiter une seconde. C’est ainsi que, pendant des mois, il pédala à travers la Toscane et l’Ombrie sous prétexte d’entraînement (jusqu’à 350 km par jour !), tout en cachant dans le cadre, la selle et le guidon de son vélo des photographies, des faux-papiers ou encore des journaux pour des imprimeries clandestines.
Cependant, à force d’allers-retours, le cycliste fait tout de même naître des soupçons chez les autorités gouvernementales italiennes. Pire encore, il se fait arrêter à plusieurs reprises. À chaque fois, il donne l’impression de faire le maximum pour aider les policiers. Sa seule requête : qu’on ne touche pas à son vélo, « calibré ainsi pour permettre une vélocité maximale ».
Malgré quelques avertissements sans frais, Gino Bartali souhaite aller encore plus loin : il a alors l’idée d’accrocher une caravane derrière son vélo. Un compartiment caché va lui permettre de dissimuler des gens recherchés. Il est de nouveau arrêté fin 1943 et purge une peine de quarante-cinq jours, avant d’être libéré sous caution ; fort heureusement, l’issue de la guerre tourne en faveur des Alliés et les autorités fascistes, en pleine débandade, en oublient d’instruire son procès… Au sortir du conflit, Gino souffle à peine : il participe aux missions humanitaires menées par le Vatican et héberge une famille juive.
Selon les estimations d’historiens, son travail sans relâche a permis de sauver jusqu’à huit cents vies humaines. C’est à titre posthume, en 2013, qu’il fut reconnu « Juste parmi les nations ». En effet, Gino n’avait pas même révélé son secret à son épouse, mais seulement à son fils aîné, Andrea, avec la promesse de ne jamais en parler ! « Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a dit : “Le bien ça se fait mais ça ne se dit pas, sinon quel bien est-ce ? Si tu en parles, c’est que tu cherches à prendre le dessus sur les autres pour ta propre gloire.” » Ainsi, bien après la guerre, l’écrivain Marek Halter, en quête de renseignements sur ses faits de résistance, s’entendit répondre : « Gino Bartali n’a rien fait pendant la guerre, sinon du vélo. »
Lors d’une interview, Andrea témoigna que lorsqu’il a souhaité faire comprendre à son père que ses actes avaient été héroïques, ce dernier lui avait répondu : « Non, non, je veux qu’on se souvienne de moi pour mes performances sportives. Les vrais héros ce sont les autres, ceux qui souffrent dans leur âme, dans leur cœur, dans leur esprit, pour ceux qu’ils aiment. Voilà qui sont les vrais héros. Je ne suis qu’un cycliste. » Et un vrai disciple de la petite voie de sainte Thérèse, sa grande amie !