Les vacances : se mettre en quête
Réflexion de Joseph Ratzinger sur le sens des vacances
Un des phénomènes les plus curieux de notre civilisation moderne est la réapparition d’une dimension nomade dans la société. Chaque week-end, d'immenses colonnes de voitures se pressent hors des villes avant de revenir à leur point de départ en s’entassant sur des routes désespérément engorgées le dimanche soir. Lorsque les vacances commencent, c’est tout un peuple qui semble partir en voyage. La route est devenue l’un des lieux les plus fréquentés par les hommes dans ce qu’il est convenu d’appeler les pays hautement développés et les investissements consentis dans ce sens sont l’expression d’une disposition psychologique qui fait des hommes d’infatigables voyageurs. On ne peut s’empêcher de se demander : « quelle est la raison d’un pareil comportement ? »
Manifestement, les gens ne se sentent pas complètement chez eux dans leurs appartements. Beaucoup quittent leur domicile aussi souvent que possible. Ce dernier semble davantage l’expression de l’emprisonnement du quotidien qu’un abri où il fait bon demeurer. On pourrait être tenté de dire que cette fuite sur les routes s’apparente à une révolte contre les contraintes du monde du travail et un besoin pressant de liberté, de lointain, d’un lieu vraiment autre où il devient possible de se découvrir soi-même dans la créativité et la liberté. Dès lors, c’est quelque chose de tout à fait profond touchant à l’homme et à sa nature qui s’exprime dans ces migrations humaines régulières des sociétés industrielles. L’homme ne parvient plus à se sentir chez lui, il est traversé d’une inquiétude qui exprime l’attente de quelque chose de plus grand. Il cherche une liberté qui aille au-delà des libertés publiques et de ce qui permet de les satisfaire.
Ne retrouvons-nous pas ici cette part de vérité des paroles bibliques décrivant l’homme comme un pèlerin dans le monde qui ne saurait constituer sa seule et unique demeure ? Ne décelons-nous pas ici cette inquiétude du cœur dont parle Saint Augustin qui avait perçu en lui cette quête inquiète, ce quelque chose qui le remuait en permanence, jusqu’à ce qu’il prenne finalement conscience de la raison pour laquelle rien ne parvenait jamais à le satisfaire complètement ? L'automobile peut tout à fait apparaître au nomade contemporain comme une expression de sa liberté et de sa propre disponibilité que souligne la racine grecque du mot. C’est pourquoi elle peut lui sembler si irremplaçable au-delà de sa pure fonctionnalité. Mais lui donne-t-elle son moi et sa liberté ou l’emprisonne-t-elle dans l’embouteillage où se retrouvent tous ceux qui tournent en rond dans le vide ?
Les comportements liés aux vacances peuvent donc tout à fait être l’occasion de réfléchir sur nous- mêmes et nous mettre en quête de quelque chose de plus grand que ce que nous osons chercher habituellement. S’extraire d’un quotidien étriqué pour effectuer un voyage qui soit enfin vraiment à la mesure de l’homme : se mettre en route pour chercher l’éternel, la face de Dieu et franchir ainsi toutes les frontières terrestres ? Pourquoi ne pas imaginer que ce soit précisément de là-bas qu’il nous soit donné accès à notre liberté et à notre véritable domicile ?