Saint Frère Albert (1845-1916)
Sans lui, aurions-nous eu Jean-Paul II ?
« L’une des joies les plus grandes que j’ai éprouvées comme Pape, ce fut d’élever ce pauvre de Cracovie en bure grise aux honneurs des autels (en 1989). Quand j’étais vicaire à Cracovie, je lui consacrai une œuvre dramatique intitulée ‘le Frère de notre Dieu’, honorant ainsi la dette de gratitude que j’avais contractée envers lui. » De quelle dette s’agit-il donc ? L’exemple de Frère Albert fut déterminant pour Karol Wojtyla : acteur ou prêtre ? Karol Wojtyla avait des talents exceptionnels d’écrivain, de poète et surtout de comédien. Halina, qui joua tous ses rôles à ses côtés, témoignera que sur scène, il fascinait d’emblée le public. Une brillante carrière lui était offerte, où il envisageait de transmettre tout le plus bel héritage de la tradition polonaise. Et voilà qu’en son âme se fait entendre l’appel au sacerdoce. Alors commence un véritable duel intérieur. Son directeur de théâtre assiste impuissant à ce spectacle impressionnant : la nuit, dans la chambre voisine de la sienne, il le voit passer des heures entières couché à plat ventre sur le sol, les bras en croix. Rien à faire pour l’en dissuader… Et voilà qu’une nuit, il se relève et lui déclare : « Je ne serai jamais un acteur, je serai prêtre.» Jusqu’à l’aube, il tente de le dissuader : «Toi le beau parleur, tu veux être curé ? Mais quel sera ton public ? De vieilles bigotes, des grenouilles de bénitier ? Voilà ton ambition ! Mais réfléchis un peu : si tu es acteur, tu t’adresseras à l’élite de la société… » Karol le laisse parler, ne rompant le silence que de temps en temps pour répéter calmement : « Je ne reviendrai pas sur ma décision. » Selon ses propres confidences dans « Ma vocation, Don et Mystère », à ce tournant de sa vie, l’exemple de Frère Albert fut pour lui déterminant. 1er octobre 1864 : l’insurrection pour une Pologne libre est durement réprimée ; au cœur de la forêt, dans une cabane sombre gît un jeune insurgé grièvement blessé à la jambe gauche. La vieille femme qui lui a cédé son grabat lui propose d’appeler un prêtre. Il accepte. « Le lendemain arriva un gros bonhomme avec un cache-nez rouge croisé sur la poitrine et qui semblait l’étouffer, tant il avait la figure boursouflée et cramoisie.» La réalité cadrait si mal avec le tableau romantique que le soldat s’était imaginé qu’il refusa de parler à ce prêtre… comme il le racontera plus tard, tout honteux. Mais qui est donc ce jeune homme ? Adam Chmielowski a 18 ans. Depuis un an, ce noble polonais, graine d’artiste, chrétien médiocre, défie l’armée ennemie en passant à travers toutes les balles. Maintenant, il accepte d’être amputé de sa jambe sans anesthésique, « Donnez-moi seulement un cigare, cela me fera passer le temps ! » Adam devra vivre désormais avec une jambe de bois. Mais il n’est pas du genre à se résigner à un petit avenir. Après des études à Munich, il devient artiste peintre de grand talent. Bien que célébré dans les musées, il ne pourrait pas subvenir à ses besoins sans la charité de la vertueuse comtesse Louise Semienska. Mais à son grand désespoir, son mari organise des salons où il a décidé de tenter une expérience : invoquer les esprits, et son protégé, poussé par la curiosité, a décidé d’y venir. Sur le conseil de son confesseur, Madame se tient dans un coin de la pièce en égrenant avec inquiétude son chapelet. C’est alors que l’énorme table se soulève et se met à bondir à travers toute la salle...