Benoît XVI - Dernières conversations : le livre événement
Créant la surprise, Benoît XVI a accepté de répondre une dernière fois aux questions du journaliste allemand Peeter Seewald dans une longue interview réalisée quelques temps après sa renonciation. A travers ces Dernières conversations, le Pape émérite nous offre son testament spirituel et pastoral. Un joyau dont nous vous présentons ici quelques extraits.*
Se laisser posséder par la vérité
« Cela fait longtemps qu'on met la vérité entre parenthèses, parce qu'elle paraît trop grande. Personne n'ose affirmer : « Nous détenons la vérité ! », de sorte que même en théologie, c'est un concept que nous avons largement abandonné. Au cours de ces années de lutte, les années 1970, cette question m’est apparue clairement : si nous abandonnons la vérité, à quoi bon faire tout cela ? Il faut absolument que la vérité entre en jeu. Il n'est évidemment pas question de dire : « Je détiens la vérité » : c'est la vérité qui nous détient, elle nous a touchés. Et nous essayons de nous laisser guider par ce contact. J'ai repensé alors à la formule de la troisième Épître de saint Jean disant que nous sommes des « collaborateurs de la vérité ». On peut collaborer avec la vérité, parce qu'elle est une personne. On peut s'engager dans la vérité, s'efforcer de lui donner de la valeur. Il m'a semblé que c'était, en dernière analyse, la véritable définition du métier de théologien, lui que cette vérité a touché, lui qui se tient face à elle, est désormais prêt à entrer à son service, à collaborer avec elle et pour elle. » (pp. 271-272) Comment envisagez-vous aujourd'hui l'avenir du christianisme ? « (…) La culture dans laquelle nous vivons aujourd'hui est positiviste et agnostique, elle se montre de plus en plus intolérante à l'égard du christianisme. La société occidentale, en Europe tout du moins, ne sera donc pas simplement une société chrétienne. Les croyants devront d'autant plus énergiquement continuer à former et à porter la conscience des valeurs et de la vie. Les différentes communautés et des Églises locales devront être plus déterminées dans leur foi. La responsabilité est plus grande. » (p. 261-262) Il faudra […] des siècles pour rechristianiser le continent européen, en admettant même que cela soit possible. Ne se berce-t-on pas d'illusions à ce sujet ? « Il ne faut pas renoncer à annoncer l'Évangile, tout simplement. Dans le monde gréco-romain, il paraissait complètement absurde qu'une poignée de Juifs partent de chez eux pour essayer de gagner au christianisme le vaste monde gréco-romain instruit et intelligent. On essuiera toujours de graves revers. (…) Mais indépendamment de toutes les prévisions de succès, il est absolument indispensable d'annoncer cette Parole qui porte en elle la force de construire l'avenir et de donner du sens à la vie des hommes. Les apôtres ne pouvaient pas mener d'enquêtes sociologiques, se demander si ça allait marcher ou non, ils ne pouvaient que se fier à la force intérieure de cette Parole. Au début, ils n'étaient qu'un très petit nombre de personnes, très humbles, qui se sont réunies. Ce mouvement a ensuite gagné de vastes cercles. » (pp. 228-229)
Une « fascination » pour la foi
« J'en suis arrivé à la conviction que nous avons évidemment besoin du Dieu qui a parlé, qui parle, du Dieu vivant. Du Dieu qui touche au cœur, qui me connaît et qui m'aime. Mais Dieu doit également être accessible à la raison. L'homme est un tout. Ce qui est entièrement étranger à la raison, qui se déroule intégralement à côté d'elle, ne pourrait pas s'intégrer dans la totalité de mon existence, et resterait en quelque sorte un corps étranger. Qu'en est-il réellement ? Me suis-je demandé. Nous avons d'un côté le Dieu de la foi, d'un autre côté le Dieu des philosophes, l'un exclut-il l'autre — ou vont-ils de pair en réalité ? Les philosophes grecs ne voulaient pas de ce Dieu d'Abraham. À l'inverse, l'Ancien Testament ne connaît pas à l'origine le Dieu des philosophes. J'ai compris alors que ces chemins se rejoignent, Alexandrie constituant le point de jonction. Voilà. J'étais absolument fasciné par ce thème existentiel qui porte sur cette question : Qu'est-ce véritablement que ma foi ? Comment se situe-t-elle dans la totalité de mon existence ? » (p.129-130) * Retrouvez l’intégralité de cette interview dans Dernières conversations, Fayard, 2016.