Prise de fortin
L'ingéniosité des croisés
1096. L’Empire Oriental appelle l’Occident à son secours face à la menace des Turcs. Le pape Urbain II prêche alors la première Croisade et c’est une armée immense, venue principalement de France, d’Allemagne et d’Italie, qui répond avec enthousiasme pour libérer les lieux saints conquis par les musulmans.
Nicée est la première ville qu’il faut conquérir, à une centaine de kilomètres en traversant un territoire impraticable pour une telle armée. Un détachement ouvre la voie à travers les montagnes, laissant derrière lui d’immenses croix en bois pour marquer le chemin. Le 14 mai 1097, les croisés sont devant Nicée, ville puissamment fortifiée par une enceinte du IVe siècle comportant deux cent quarante tours ! De plus, une défense naturelle, ainsi qu’un ravitaillement en cas de siège, sont assurés à la ville par une ouverture sur le Lac Ascanien.
Les croisés ne se découragent pas : creusant au pied d’une tour jusqu’au fondement des murailles, ils parviennent à entasser des poutres et à y mettre le feu. La tour s’effondre et les combats s’engagent ; mais, dès la nuit tombée, les Turcs restaurent si solidement le mur qu’il devient inutile de revenir attaquer de ce côté !
C’est alors qu’un stratagème brillant germe dans l'esprit des croisés : ils sollicitent une flotte de l’Empereur pour encercler Nicée aussi par le lac ! Il faut alors acheminer les bateaux par voie de terre. Leur motivation ne se laissant arrêter par aucun obstacle, leur ingéniosité vient à bout du problème en peu de temps : une troupe s’emploie à ramener les bateaux concédés par l’Empereur depuis le port de Civitot jusqu’au lac, au moyen de chariots attachés ensemble. On charge les bateaux sur les chariots et au cours d’une nuit seulement, en silence, ils sont traînés sur sept milles (environ 11 km) jusqu’au lac où ils sont remis à l’eau. Aussitôt, les bateaux sont remplis autant qu'on le peut par des croisés audacieux, prêts à arracher la victoire.
On imagine facilement la stupeur des assiégés, se voyant cerner par une armée croisée innombrable sur terre et par une flotte apparue du jour au lendemain sur le lac ! Mais on croit également à la stupeur éprouvée par ces mêmes croisés au moment où ils touchent au but, en voyant au petit matin du 19 juin 1097 l’étendard impérial flotter sur les murailles de la ville ! En effet, un accord a été négocié entre la ville et l’Empereur, moyennant sa reddition contre la sauvegarde de la vie de ses habitants. Ceux-ci, se voyant le couteau sous la gorge, acceptent l’accord et hissent le drapeau impérial, frustrant ainsi les croisés de leur victoire !
L’Empire byzantin remportait, par diplomatie, la première victoire, mais n’allait pas tarder à se désolidariser de la croisade, face au difficile siège d’Antioche. L’audace, l’ingéniosité et le courage des croisés ne manqueraient pas d’occasions d’être durement éprouvés avant d’aboutir à la fondation du Royaume de Jérusalem en 1099.
Source : « Les Croisades » de Régine Pernoud.