Un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau
Homélie de l’Office de la Passion
Vendredi Saint 7 avril 2023
Le signe du Cœur ouvert de Jésus
« Un de soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau » (Jn 19,34)
Nous voici au calvaire avec la Vierge Marie, saint Jean et les saintes femmes. Les disciples ont fui, les ennemis de Jésus aussi. La nature par de grands signes a rendu l’ultime hommage à son Créateur, criant à la conscience des hommes la gravité du péché commis. Bientôt la croix sera dévoilée, portant le corps sans vie de notre Sauveur. Nous l’adorerons. Nous vénérerons ses blessures, preuves irréfutables de son immense Amour pour nous. Portons ce soir notre regard sur son cœur ouvert.
Saint Jean a témoigné de cet ultime outrage infligé au corps de Jésus, outrage qui a certainement déchiré le cœur de la Vierge Marie : « Voyant que [Jésus] était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau » (Jn 19,33-34). Dans sa divine providence, Dieu n’a pas permis qu’on brisât les jambes de son Fils, manifestant ainsi en lui le véritable agneau pascal dont la loi de Moïse avait prescrit qu’aucun os ne devait en être brisé (cf. Ex 12,10). À l’heure de l’immolation des agneaux dans le Temple, Jésus a substitué le sacrifice de sa vie au culte sacrificiel de l’ancienne alliance. Il s’est offert lui-même une fois pour toutes, lui l’Agneau du nouvel Exode, dont le sang nous sauve de l’esclavage du péché et de la mort. Le fait qu’on ne lui ait pas brisé les jambes manifeste aussi sa sainteté, comme l’annonçait le Psaume 34 qui dit à propos du Juste : « Dieu veille sur chacun de ses os, pas un ne sera brisé » (v. 21). Jésus mis à mort comme un blasphémateur et un maudit est le Juste par excellence.
Un des soldats lui ouvrit le côté et il en sortit du sang et de l’eau. Jésus a vraiment tout donné. En permettant que son cœur soit transpercé, il a offert jusqu’à la dernière goutte de son sang. De la plaie de son côté, le sang et l’eau jaillissent comme d’une source.
Saint Jean nous invite à le comprendre le signe du cœur ouvert de Jésus à partir de l’attente d’Israël. Jésus lui-même s’était écrié dans le Temple de Jérusalem, en pleine fête des tentes :« Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Comme dit l’Écriture : ‘De son cœur couleront des fleuves d’eau vive’ » (Jn 7,37-38). Au cours de cette fête, Israël demandait la pluie pour féconder la terre, ainsi que la purification des cœurs. Le peuple rappelait la bénédiction de l’eau jaillie du Rocher au cours de l’exode. La liturgie juive prévoyait semble-t-il une procession jusqu’à la fontaine de Siloé (dont le nom signifie « envoyé »), accompagnée du chant des paroles du prophète Isaïe : « vous puiserez dans la joie aux sources du salut ». L’eau puisée à la fontaine était ensuite répandue en sacrifice de libation sur l’autel des sacrifices [Yves M.-J. Congar, Le mystère du Temple, Cerf, Paris 1958, p. 97.]. On lisait aussi des passages du livre du prophète Zacharie, dont le verset cité par saint Jean : « Je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication. Ils regarderont vers moi. Celui qu’ils ont transpercé, ils feront une lamentation sur lui, comme on se lamente sur un fils unique » (Za 12,10). On lisait aussi cette autre prophétie de Zacharie : « Ce jour-là, il y aura une source qui jaillira pour la maison de David et pour les habitants de Jérusalem : elle les lavera de leur péché et de leur souillure » (Za 13,1).
Jésus lors de la fête s’était présenté mystérieusement comme le véritable Rocher duquel a jailli l’eau dans le désert, mais aussi comme le véritable temple duquel devait s’écouler l’eau qui purifie. Maintenant le voile du mystère est levé. Après l’outrageante procession qui l’a conduit sur le calvaire, Jésus s’est laissé clouer les mains et les pieds et a permis que son côté soit ouvert, inaugurant ainsi la nouvelle fontaine de Siloé, la fontaine définitive jaillissant du cœur de celui qui fut conduit à la mort pour s’être présenté comme l’envoyé du Père. Aspergé d’un sang si pur, le centurion comme l’aveugle-né a été libéré de la cécité qui atteignait son cœur et s’écria : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu ! » À cette source, l’Église puise le précieux sang du Christ dont les mérites infinis sont offerts au Père sur nos autels, pour le salut du monde.
Les Pères y ont vu dans l’eau et le sang le symbole de l’Esprit Saint et des sacrements que Jésus donne continuellement à son Église comme une source intarissable de grâce en vue de la rénovation des cœurs.
Le prophète Ézéchiel a vu par avance l’abondance de la source mystérieuse qui jaillissait sous le seuil du Temple. Elle devenait un torrent infranchissable, qui irriguait et assainissait tout sur son passage. Les arbres qui étaient au bord de ce torrent portaient des fruits nouveaux chaque mois (cf. Ez 47,4-12). Il en va de même de l’abondance de la grâce qui jaillit du cœur du Crucifié. Elle pourrait sauver tous les hommes et les faire germer une immense moisson de saints qui portent du fruit pour la vie éternelle. À nous d’y puiser souvent avec foi.
En cette heure, nous ne pouvons pas oublier le martyre du Cœur de la Vierge Marie, transpercé par le glaive de douleur. À ce cœur douloureux et immaculé, nous voudrions offrir une compassion filiale, vraie et profonde. Qu’est-ce qui contribuera le plus à consoler son cœur ? Très certainement la contrition profonde de nos péchés et notre résolution à prendre, avec son aide, le chemin de la conversion. Accueillons en cette heure la recommandation maternelle qu’elle nous adressa au rocher de Massabielle : « Allez boire à la source et vous y laver ». Au cours de la vigile pascale, nous boirons à la source par la rénovation des promesses de notre baptême et par notre communion pascale. Auparavant, la Vierge Marie nous invite à nous approcher avec confiance du cœur ouvert de Jésus pour recevoir miséricorde en nous lavant à cette source par le sacrement de la confession. Comme la Samaritaine qui avant demandé à Jésus l’eau vive, acceptons la lumière que Jésus veut nous donner sur notre propre vie. Demandons-la. Que ce Triduum soit pour chacun d’entre nous l’occasion d’un profond renouvellement de nos cœurs. Qu’au terme de notre vie, se réalise pour nous de la promesse de Jésus dans l’Apocalypse : « À celui qui a soif, moi, je donnerai l’eau de la source de vie, gratuitement. Tel sera l’héritage du vainqueur ; je serai son Dieu, et lui sera mon fils » (Ap 21,6-7). Amen.