Celui qui craint Dieu n’a plus peur de rien !
Homélie pour la solennité de Pentecôte
Dimanche 23 mai 2021
Pour lutter contre la peur, demandons le don de crainte du Seigneur !
Nous vivons dans un monde qui, de plus en plus, est marqué par la peur. Peur pour notre sécurité, peur pour notre santé, peur pour notre avenir. Plus grave encore : peur de dire ce que l’on pense, peur d’annoncer l’Évangile, ou plus encore, peur d’être seulement reconnus comme chrétiens.
Or la peur est souvent la conséquence de formes plus ou moins subtiles de dictature. En tout cas elle consolide ces formes de dictature, car elle empêche les forces vives de s’exprimer, elle empêche de libérer la parole – et plus simplement de libérer l’homme lui-même. Comment lutter aujourd’hui contre la peur ? En ce jour de la Pentecôte, nous voyons justement les disciples être libérés de la peur qui les habitait jusqu’alors. Eux qui étaient, il y a cinquante jours, enfermés dans le cénacle, nous les voyons aujourd’hui sortir et annoncer à tout le peuple la résurrection de Jésus, sur les lieux mêmes où Jésus, il y a moins de deux mois, a été condamné et crucifié. En ce jour, les disciples, pour vaincre la peur qui les habitait, ont reçu le Saint Esprit. La Tradition de l’Église a reconnu, dans la parole de Dieu, sept dons que l’Esprit-Saint donne aux hommes (cf. Is 11, 1-3). Parmi ces dons, il en est un particulièrement important pour nos temps, dont on parle peu, et qui est précisément l’antidote le plus fort contre la peur : il s’agit du don de crainte. Le don de crainte est celui dont la Bible parle le plus – et il est sans doute le plus important de tous : « La crainte du Seigneur est au-dessus de tout » (Si 25, 11) ; « Heureux qui craint le Seigneur » (Ps 127, 1)… « Achevons de nous sanctifier dans la crainte de Dieu » (2 Co 7, 1)…
Parfois, dans le langage courant, la crainte est synonyme de la peur – c’est pourquoi nous comprenons souvent mal ce don de l’Esprit-Saint, et nous ne pensons pas à le demander. Mais la crainte de Dieu n’est pas la peur. Elle est la conscience que Dieu est grand et que nous sommes petits, que Dieu est puissant et que nous sommes faibles. Elle est une délicatesse supérieure de l’amour : car elle nous fait redouter d’offenser, de peiner celui que nous aimons. Elle est un souci amoureux de fidélité absolue à ce qu’il nous demande. Elle est la décision de mettre Dieu en première place dans notre vie (Dieu premier servi), le choix libre de faire passer la volonté de celui que nous aimons avant tout le reste – c'est-à-dire avant notre propre volonté et contre les suggestions de l’esprit du monde. Le don de crainte est donc le plus sûr moyen d’être libérés de la peur – voilà pourquoi il est très proche du don de force, dont il est en quelque sorte la condition : pour être fort, il faut craindre Dieu. Benoît XVI disait : « "Celui qui craint le Seigneur n’a peur de rien" dit le Siracide (34, 16). La crainte de Dieu libère de la crainte des hommes. Elle rend libres ! » [BENOÎT XVI, Homélie pour l’Épiphanie, 6 janvier 2013]
Regardons les disciples, et en particulier Pierre, au soir du jeudi saint. Ils n’ont pas assez conscience, alors, ni de la grandeur de Dieu ni de leur petitesse. Ils ont confiance en eux-mêmes, et en leurs propres forces. Il leur manque le don de crainte – et c’est pourquoi ils cèderont à la peur : ils s’enfuiront ou renieront Jésus. Mais en ce jour de la Pentecôte, revêtus du don de crainte, ils n’ont plus peur, ils sont devenus forts – car ces deux dons sont intimement liés : ils sont devenus forts, parce qu’ils craignent Dieu. C'est-à-dire qu’ils n’ont plus confiance en eux-mêmes, mais en lui, Dieu, qui peut tout. Ils savent qu’ils sont petits et faibles, alors ils mettent tout leur espoir en Dieu. Ils ne peuvent rien, mais Dieu peut tout. Alors, plus rien ni personne ne peut leur faire peur ! Aussi, sur le lieu même où il avait renié Jésus ils y a deux mois par peur d’une servante, Pierre, devant tous les grands-prêtres et tout le grand conseil qui avaient condamné Jésus, proclamera : « En nul autre que [Jésus], il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver » (Ac 4, 12).
Et nous, aujourd’hui ? C’est aussi du don de crainte que nous avons le plus besoin, pour ne plus avoir peur. Nous n’avons plus peur, parce que Dieu est grand et qu’il peut tout, parce que nous mettons toute notre confiance en lui et non en nous, parce que nous l’aimons et que nous voulons lui être fidèles ! Le cardinal polonais Wyszynski disait : « La peur de l’apôtre est le premier allié des ennemis de la cause. "Par la peur contraindre à se taire". La terreur utilisée par toute dictature est calculée sur la peur des apôtres. » [Cité par JEAN-PAUL II, Levez-vous ! Allons !, Paris, Plon-Mame, 2004, page 168] Et c’est pour cela que les dictatures luttent contre Dieu. Car Dieu libère de la peur : celui qui craint Dieu n’a plus peur des hommes. Il est libre ! Les apôtres, mais aussi tous les saints, et en premier les martyrs, sont des témoins de cela.
En ce jour de Pentecôte, demandons le don de crainte. Alors nous serons libres dans ce monde. Libres par rapport à l’esprit du monde. Car c’est aujourd’hui le temps de la résistance à l’esprit du monde. Et l’Église doit tenir – par nous – fidèle à la parole de Jésus : « Vous n’appartenez pas au monde… » (Jn 15, 19). Le cardinal de Lubac écrivait – et ces mots sont pour chacun de nous : « Il n’est pas loisible à l'Église de se rendre "conforme au temps" à volonté ; elle ne doit pas mesurer le Christ et le christianisme au temps et à la mode, mais elle doit inversement placer les temps sous la mesure du Christ. » [Joseph RATZINGER, Le nouveau Peuple de Dieu, Aubier, 1971, page 127]
Alors retenons cela : celui qui craint Dieu n’a plus peur de rien.
Seigneur, en cette fête de la Pentecôte, à la prière de la Vierge Marie, nous te demandons de répandre sur nous les sept dons de ton Esprit-Saint. Donne-nous plus particulièrement, dans les temps difficiles que nous vivons, le don de crainte. Si nous craignons Dieu, nous n’aurons plus peur. Si nous craignons Dieu, nous serons plus forts. Si nous craignons Dieu, nous deviendrons libres. Si nous craignons Dieu, nous aurons la joie. Si nous craignons Dieu, nous serons des saints.