Dans le secret de nos maisons...
Homélie pour le 19ème Dimanche du Temps ordinaire - Année C
Dimanche 10 août 2025
Nous ne pouvons pas changer le monde. Nous sommes impuissants, en apparence.
En ce dimanche de vacances, arrêtons-nous sur une phrase que nous avons entendue dans la première lecture. Elle est apparemment anodine, et pourtant elle rejoint assez directement nos préoccupations actuelles : « Dans le secret de leurs maisons, les fidèles descendants des justes offraient un sacrifice… »
Là réside l’explication d’une situation étonnante. En effet, le peuple hébreu a passé 430 ans en Égypte. Or la condition des Hébreux – dans un premier temps favorable – n’a cessé de se dégrader, et l’oppression à leur égard se fit de plus en plus forte. Comment le peuple a-t-il pu garder la foi dans un environnement aussi hostile et oppressant ? Le livre de la Sagesse nous en donne l’explication par cette phrase : « Dans le secret de leurs maisons, les fidèles descendants des justes offraient un sacrifice… » Le raisonnement des Hébreux dut être à peu près celui-ci : « Nous sommes impuissants. Nous ne pouvons pas changer l’Égypte. Mais nous pouvons demeurer fidèles, dans nos maisons, et transmettre cette espérance qui nous habite, transmettre ces promesses que Dieu nous a faites. Nous ne pouvons faire que cela, et pourtant c’est beaucoup. Nous allons attendre que Dieu se lève et qu’il se manifeste. Mais non pas attendre sans rien faire. Nous allons préparer son passage, sa pâque. Dans le secret de nos maisons, nous transmettrons cette espérance à nos enfants. Dans le secret de nos maisons, nous offrirons un sacrifice – c’est-à-dire : nous vivrons conformément à ce Dieu en qui nous croyons, qui agira bientôt, et qui nous donne dès maintenant, malgré les difficultés du temps présent, la joie de croire en lui. »
Sommes-nous aujourd’hui dans une situation très différente ? Nous vivons dans une société qui se fait oppressante pour ceux dont l’espérance est au Ciel, pour ceux qui croient – et qui veulent pouvoir vivre leur foi avec radicalité. Nous ne pouvons pas changer le monde. Nous sommes impuissants, en apparence. Mais en réalité, pas tant que cela… Et les dictatures du relativisme le savent bien. Sinon pourquoi cet acharnement à nous empêcher de vivre les vraies valeurs de l’Évangile ? Pourquoi le « petit troupeau » qui veut rester fidèle – quelques petites communautés, quelques familles, quelques laïcs – seraient-ils si gênants ? Oui, aujourd’hui, continuons d’agir ainsi.
Dans le secret de nos maisons, nous transmettrons la foi, et nous la vivrons avec fidélité. Dans le secret de nos maisons, nous apprendrons à nos enfants et à nos jeunes à aller à contre courant, nous rectifierons bien des choses qu’ils entendent à l’école ou dans les médias. Dans le secret de nos maisons, nous construirons silencieusement et patiemment une authentique civilisation de la vérité, de l’amour et de la vie. C’est ainsi que nos maisons doivent être des lieux de sainteté. Ils ne seront pas des lieux de perfection immédiate, mais de sainteté – c’est-à-dire de croissance dans le bien et le vrai. Les Hébreux n’étaient pas parfaits – les événements qui suivront dans le désert le montreront amplement. Mais ils ont transmis la foi, dans le secret de leurs maisons. C’est le martyre « au goutte-à-goutte » des familles, dont a parlé le cardinal Sarah à Sainte Anne d’Auray.
Oui, dans nos maisons, offrons un sacrifice. Nous ne ferons pas de nos maisons des tours d’ivoire fermées, mais des oasis ouvertes, où ceux qui le veulent peuvent venir boire, au cours de leur marche dans ce que Benoît XVI appelait les déserts du monde contemporain. Car si nous transmettons la foi « dans le secret de nos maisons », c’est pour être forts afin d’en témoigner hors de nos maisons, et proposer à tous ce trésor que nous n’avons pas le droit de garder pour nous, ce trésor que nous devons partager.
Écoutons Jésus nous dire aujourd’hui : « Sois sans crainte, petit troupeau : votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. » Nous vivons dans une situation qui n’est pas normale : nous sommes en effet dans la maison. Mais le maître s’est absenté. Il s’est rendu à des noces. Il va bientôt rentrer. Bientôt… C’est donc une situation d’attente. Attente du retour du Seigneur. C’est donc un temps d’épreuve, si l’on veut. Mais tous ceux qui nous ont précédés sont passés par là. Comment ont-ils tenu ? « Grâce à la foi… » Nous avons entendu dans la seconde lecture cette litanie encourageante. Elle s’arrête au seuil du nouveau testament. Mais on pourrait poursuivre : « Grâce à la foi, des pasteurs, des consacrés, demeurent fidèles à leurs engagements et ont accompli leur mission. Grâce à la foi, des parents transmettent généreusement la vie et la foi. Grâce à la foi, des enfants, des adolescents, des jeunes témoignent avec courage et enthousiasme de la joie de croire. Grâce à la foi, des hommes et des femmes de toutes conditions agissent pour répandre l’amour de Jésus dans ce monde. Grâce à la foi, des pécheurs reviennent à Dieu avec confiance, et accueillent sa miséricorde inépuisable. »
Comme on le promet dans le scoutisme, un chrétien doit être « toujours prêt ». C’est ce que Jésus nous demande dans cet évangile. Toujours prêt au retour du Seigneur – nous ne savons ni le jour ni l’heure. Toujours prêt à ouvrier sa maison et son cœur à tous ceux qui cherchent la vérité, qui cherchent Dieu. En ce dimanche, demandons à la Vierge Marie, rempart de notre foi, de faire grandir en nos maisons et en nos cœurs la joie de la foi – et reprenons cette phrase jusqu’à la fin : « Dans le secret de leurs maisons, les fidèles descendants des justes offraient un sacrifice, et ils consacrèrent d’un commun accord cette loi divine : que les saints partageraient aussi bien le meilleur que le pire ; et déjà ils entonnaient les chants de louange des Pères. »